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Gabrielle Cluzel

Journaliste
 

Pour vous, j’ai suivi dans la presse « l’actualité féminine ». Et en suis sortie… ébaubie.

De la libération des femmes…

Un clip musical mettant poétiquement en scène Nathalie Portman, dans la pénombre, alors qu’elle est enceinte de son deuxième enfant et sur le point d’accoucher, a choqué le magazine Grazia. On devine les mouvements du bébé. Grazia défaille. La pudibonderie tant décriée au xixe siècle, loin d’avoir été éradiquée, a migré pour se planquer dans des recoins abstrus. Les photos scabreuses, oui, la maternité heureuse, non. La pornographie, oui, les échographies, non. « Le clip avec Nathalie Portman enceinte jusqu’aux yeux a horrifié (sic) la moitié de la rédac » rapporte madmoiZelle.com, parlant de « dégoût », et de « plan sur la peau distendue de la mère où l’enfant commence à gigoter » qui ne serait « pas fait pour les yeux de toutes ». Pour cette presse féminine, le ventre d’une femme enceinte est donc horrible et dégoûtant. Certaines lectrices, mécontentes ont réagi. La gronde montant sur les réseaux sociaux, la rédaction a reconnu avoir « fait une erreur »… et a remplacé son texte par un autre du même acabit, s’indignant par exemple que l’on présente la femme enceinte comme un « écrin de la vie ».La réalité est que le dénigrement de la maternité devient un marronnier pour une certaine presse : « 8 raisons de ne pas avoir d’enfants » (Le Huffington post), « Avoir ou ne pas avoir un/des enfant(s): qui est plus égoïste ? » (Le club de Médiapart), « Elles n’ont pas d’enfants, et alors ? » (Femme actuelle), « je ne veux pas d’enfants, et alors ? » (MadmoiZelle), « être mère et le regretter : je me suis fait un enfant dans le dos » (L’Obs), « Ces femmes qui regrettent d’avoir eu des enfants » terrafemina.com, « Le regret d’être mère, ultime tabou » (Libération), « être mère, un cauchemar dont je ne me réveillerai jamais » (Libération)… Et la liste n’est pas exhaustive. Témoigner que l’on peut être, Dieu merci, heureux même lorsque l’on n’a pas d’enfants est une bonne chose. Mais on voit bien que ce n’est pas de cela dont il s’agit. Et les choses martelées finissent par être intériorisées. Il y a quelques semaines Erdogan exhortait les familles turques sur la terre occidentale à « avoir cinq enfants ». Nous autres jugeons les rondeurs d’une femme enceinte écœurantes et effrayantes. D’aucuns diront – pffftttt ! – qu’il n’y a aucun rapport entre les deux sujets. Qu’ils continuent donc à ronfler. Mais ils risquent un jour prochain de se réveiller en sursaut.   

 

… à la libération des cheveux

Le Huffington Post nous l’apprend : à sciences Po Paris, l’association Science Curls milite pour « la libération des cheveux bouclés et crépus ». Discriminés, mal considérés, ceux-ci souffriraient de la domination hégémonique des cheveux lisses. Ça c’est un combat, et saperlipopette, il laisse pantois. Si en effet, le fer à lisser a fait son apparition sur les rayons des supermarchés, à côté des sèche-cheveux, ces dernières années, son frère ennemi le fer à boucler a tenu durant des siècles le haut du pavé. Les cheveux raides comme la justice, longs et tristes comme un jour sans pain, n’ont jamais été très appréciés. Et les femmes les ont tordus, brûlés, entortillés, malmenés en tous sens, pour tenter de les réformer. Loin de moi l’idée de faire une histoire de la coiffure féminine à travers les âges, ce dont je serais bien incapable, mais tous les romans du xixe sont peuplés de nuques mousseuses, de fronts vaporeux, de frisottis, de bouclettes, et des instruments de torture qui vont avec : fer à friser, papillotes et bigoudis. Une poupée de Sophie, dans la Comtesse de Ségur, a même laissé sa perruque dans l’affaire. Et les anglaises parfaites de Nelly Olson ont fasciné des générations de fillettes. À moins que le but ultime soit de délier de leurs chaînes tous les cheveux ? Adieu les élastiques, les barrettes, les brosses et les peignes, on arriverait au bureau avec la tignasse de Bozo (le clown), les coiffeurs feraient faillite et des coucous viendraient nicher dans nos cous ? Une revendication en appelant une autre, ne pourrait-on pas aussi libérer les dents ? Point de diversité ni d’accueil de l’autre dans nos gencives, depuis que les orthodontistes sévissent. Toutes identiques, rangées au garde-à-vous comme des petits soldats, pas une seule tête ne dépasse. Elles regardent toutes vers la ligne bleue des Vosges. Pas la moindre fantaisie, créativité artistique, originalité n’est tolérée dans l’implantation. Si l’enrichissement naît de la différence, on peut dire que les bouches de nos enfants sont indigentes. Moi qui ai les dents de devant écartées, je devrais songer à monter un mouvement car je me sens discriminée. Je demanderais à Vanessa Paradis et Yannick Noah de le parrainer, ce serait une drôlement bonne idée. Reste à savoir, évidemment, si le Huffington Post accepterait d’en parler.          

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