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Eric Letty

Editorialiste

La farce démocratique

On en revient toujours à La Fontaine. Français, nous grenouillons ! Il est vrai qu’après cent cinquante ans de République, notre peuple a de solides motifs d’être las de l’état démocratique. Et la farce politique à laquelle nous assistons depuis neuf mois – le temps qu’il a fallu à Marianne pour accoucher de Macron – illustre, derrière la fiction du nouveau Jupiter appuyé sur Démos, la faillite du système.L’ensemble du feuilleton forme une leçon de démocrassie, depuis l’organisation des primaires, présentées à l’origine comme une grande avancée démocratique et qui se sont soldées par la débâcle des principaux partis de gouvernement, jusqu’à l’élection de la chambre improbable par moins de la moitié des électeurs inscrits. Un triomphe… ?Le long épisode Fillon devrait conduire à s’interroger sur la manipulation des masses, l’illusion de la séparation des pouvoirs politique et judiciaire, l’ingérence de l’idéologie dans le fonctionnement de la justice, la collusion des parquets et de la presse, l’assujettissement des médias à la finance. En somme, tout ce qui a abouti à l’élimination pathétique de l’invertébré de la Sarthe, avec en point d’orgue l’instant où, tout brûlant de réintégrer le système qui l’avait blackboulé, il appela, dans les minutes qui suivirent son humiliation, à voter pour le candidat que ses bourreaux avaient hissé sur le pavois.Il fallait en effet qu’Emmanuel Macron affronte au deuxième tour Marine Le Pen pour que sa victoire soit certaine. Au-delà de la médiocre campagne menée par la candidate du Front national, c’est un autre aspect de notre démocratie que l’ostracisme qui frappe ce seul parti. On en voit les conséquences au sein de la prétendue représentation nationale, où les communistes disposent de 10 sièges avec 1,2 % des suffrages exprimés ; la France insoumise, de 17 avec 4,86 % ; le parti socialiste, pourtant à l’agonie, de 29 élus avec 5,68 % ; le Modem, de 42 avec 6,06 %... mais le Front national de 8 députés seulement avec 8,75 % des suffrages exprimés. Ce n’est certes pas nouveau, mais quelle bizarre démocratie ! On m’objectera que c’est là le résultat de l’implantation locale dont certains bénéficient et qui manque à d’autres. L’argument serait recevable si les députés étaient censés représenter leurs électeurs ; mais, en théorie au moins, chacun d’eux est représentant du peuple entier. C’est d’ailleurs ce qui consacre la souveraineté nationale contre la souveraineté populaire et justifie l’interdiction dans la Constitution du mandat impératif. Il faut donc admettre que dans la démocratie française, qui inscrit l’Egalité au fronton de ses monuments publics, un électeur bayrouiste ou macronien vaut deux électeurs mélenchonistes, et un électeur communiste, une dizaine de lepénistes.Quant à La République en marche, le parti pérégrin d’Emmanuel Macron, il n’est pas mal chaussé non plus, puisqu’il obtient la majorité absolue dans la nouvelle assemblée en ayant obtenu les suffrages de 7,8 millions d’électeurs sur 47,3 millions d’inscrits. Certains commentateurs, au soir de l’élection, affectaient d’y voir l’effet d’une « abstention bienveillante ». C’est au contraire le signe d’un désabusement. Le peuple n’est plus dupe, la plèbe s’est retirée sur l’Aventin. Les Français ont souhaité le départ des combinards représentants du système, plus que l’élection des macronistes. Humiliés par la « présidence normale », ils ont, comme les grenouilles de la fable, demandé un roi et ont reçu Macron. Mais la légitimité de celui-ci est fragile et sa position ne repose que sur ce désir de changement. Il n’est pas sûr qu’au dernier acte de la farce démocratique, le magicien Macron change aisément les grenouilles en dindons.  

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