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Abbé de Tanoüarn

Rédacteur en chef

Un droit à la messe

Dix ans, cela fait dix ans que la liturgie traditionnelle est « en vente libre » dans la sainte Église de Dieu, ou plutôt dix ans que le processus de libéralisation, ordonné par un pape avec toute son autorité « motu proprio », est en cours.

Il faut bien reconnaître que le Motu proprio, attendu pourtant, espéré ou craint, a pris tout le monde à contre-pied. On attendait un texte dans la logique de l’Indult de 1984, qui donne permission à quelques personnes ; on attendait un élargissement du Motu proprio Ecclesia Dei afflicta, qui, tout en condamnant Mgr Lefebvre parce qu’il avait sacré des évêques sans l’accord de Rome, avait aussi permis que naisse une première communauté traditionaliste explicitement liée à la Rome post-conciliaire, la Fraternité Saint-Pierre. Summorum pontificum ne se situe pas dans le domaine de permissions plus ou moins révocables ou de compassion plus ou moins condescendante. C’est un acte de droit, qui comporte, dans son article 1, l’idée que « le Missel romain promulgué par saint Pie V et réédité par le Bienheureux Jean XXIII n’a jamais été abrogé ». Le document dont nous célébrons l’anniversaire constitue une reconnaissance du droit des fidèles et pas seulement un acte autorisant telle communauté à le célébrer. Face à ce droit des fidèles, « pour célébrer cette messe selon l’un ou l’autre missel, le prêtre n’a besoin d’aucune autorisation » (article 2). Apparemment, c’est vrai, nos évêques n’ont pas forcément lu le même texte que nous. L’audace du rédacteur, qui n’élève pas la voix mais se retranche derrière le droit de l’Église, rend sa parole irrévocable. Une autorisation est révocable. Un droit qui porte sur un bien divin (l’œuvre de Dieu dit saint Benoît cité par Benoît XVI) n’est pas révocable.Summorum pontificum ne se contente pas d’évoquer la liturgie traditionnelle et le légitime attachement de certaines personnes pour elle. Son propos est plus vaste. Il s’agit de l’histoire de la liturgie, et du rôle des papes de Rome dans la transmission de la liturgie occidentale. Ce point est tellement important qu’il a donné son titre au document : Summorum pontificum : le soin et la responsabilité (cura) des souverains pontifes. Benoît XVI parle au nom de tous les souverains pontifes. Il s’adosse à l’histoire de Rome et cite son prédécesseur Grégoire le Grand. Il nomme saint Pie V, qui « fit éditer des livres liturgiques corrigés et restaurés aux normes des Pères ». Bref, il montre dans la liturgie la tradition en acte. Les pontifes successifs ont « assuré la mise à jour des rites ». Ils n’ont rien inventé. Élève de Mgr Klaus Gamber, le pape Benoît sait qu’il ne faut rien inventer en matière liturgique. Le nouveau n’a valeur que par et dans l’ancien : il en va de la loi de la prière comme de la loi de la foi, prévient le pape citant l’introduction générale de 2002 au Missel romain.C’est lorsque l’on a compris cela que l’on comprend pourquoi le pape insiste tant sur la trouvaille théologique de ce Motu proprio : il y a une seule forme du rite romain, susceptible de mises à jour. Mais le rite rénové ne peut pas se présenter comme un rite nouveau et le rite ancien ne peut pas revendiquer l’exclusivité liturgique, sauf à mettre en cause la légitimité de l’œuvre liturgique des souverains pontifes. Il faut simplement que naisse « un enrichissement mutuel » des formes de l’unique rite : d’un côté, il faut une mise à jour des fêtes de saints et des préfaces, et peut-être aussi, ajouterais-je, mais Benoît XVI ne le dit pas, un sens de la participation active des fidèles qui ne sont jamais étrangers à l’action liturgique et qui doivent au contraire s’immerger en elle. De l’autre, il faut que le sens du sacré, qui pénètre l’ancienne forme, puisse aussi se manifester dans la nouvelle forme, comme l’explique Jean Henry dans l’article suivant.C’est dans cette perspective que les fidèles ont un droit strict à la liturgie traditionnelle. Pour faire reconnaître ce droit des fidèles, Benoît invite à constituer des groupes stables, portant ce qu’il faut bien appeler cette revendication. En cas de difficulté, pour obtenir satisfaction, une structure de recours est prévue : d’abord le curé, puis l’évêque, puis la Commission Ecclesia Dei… Il faut reconnaître que fonder sa démarche en faveur des formes traditionnelles du rite romain sur le droit des fidèles, c’est un biais dont on n’a pas assez noté le caractère révolutionnaire ou libéral au bon sens du terme. L’Église romaine souvent asphyxiée par une centralisation outrancière tient là une nouvelle forme institutionnelle, qui pourrait trouver bien d’autres illustrations aujourd’hui. Benoît XVI est cet homme paradoxal qui utilise une structure de raisonnement absolument moderne (le droit des fidèles aux moyens de leur sanctification, notion qui existe à peine dans le nouveau code de droit canon) pour défendre une liturgie intemporelle (1).

Abbé G. de Tanoüarn

1_Je signale que Mons. Le Tourneau a écrit en 2011 un Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, éd. Wilson et Lafleur, Montréal. C’est à ma connaissance le seul ouvrage du genre.

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