« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Monde & Vie

Secrétariat Monde & Vie

La mort sur simple demande

On peut dire qu’aux Pays-Bas, 15 ans après sa légalisation, l'euthanasie est définitivement entrée dans les mœurs. Le premier pays à avoir légalisé la mort sur demande n’en finit pas de faire l’expérience de cet étrange pouvoir.

Entre télé-réalité et statistiques à la hausse, le premier pays à avoir légalisé le droit de choisir l’heure et le jour de sa mort (on invite les proches et on ouvre une bonne bouteille) apporte la preuve de ce que tous les partisans du « droit de mourir dans la dignité » niaient sur tous les tons. Oui il y a une pente glissante. L’entrée en vigueur de la loi autorisant la mise à mort dépénalisée d’un patient par son médecin, moyennant une série de conditions qu’on disait draconiennes, a eu lieu en 2002. En 1990 on estime à 1,7 % la proportion de décès consécutifs à une euthanasie clandestine ; en 2015 4,5 % des décès ont fait suite à une piqûre létale légalement administrée, soit près d’une mort sur 20. Le mépris de la vie s’est aggravé sur de multiples plans puisque, selon cette étude publiée dans le New England Journal of Medicine début août, non seulement les motifs invoqués pour justifier une euthanasie se sont élargis, mais par ailleurs, le nombre de sédations palliatives ou des prescriptions de médicaments abrégeant la vie ont progressé de façon notable. Il est devenu tout à fait acceptable dans un protocole de sédation palliative, d’arrêter l’alimentation et l’hydratation. La mort est au bout et peut résulter de la privation de soins. Pour les chercheurs qui ont passé à la loupe 25 années de pratique d’euthanasie, ce sont bien les mentalités qui ont changé. Aujourd’hui, environ 50 % des demandes d’euthanasie sont acceptées : « Il semble que les patients aujourd’hui osent réclamer une euthanasie et que les médecins soient disposés à la pratiquer ». Dans un pays où le corps médical reste maître de la décision d’accorder l’euthanasie ou non, c’est une proportion considérable. Une augmentation qui va de pair avec un glissement des motifs. Dans la plupart des cas de ces dernières années, soit 92 %, les malades étaient atteints d’une maladie mortelle ou de problèmes de santé graves liées à la vieillesse, à une maladie psychique ou à un stade précoce de démence. Plus de 30 % des patients euthanasiés avaient plus de 80 ans. Ce qui veut dire qu’on aide quand même des personnes relativement jeunes à passer de vie à trépas, et pas forcément des personnes en phase terminale. La tendance est confirmée par les commissions régionales d’évaluation des euthanasies, auprès desquelles chaque acte doit être déclaré : en 2016 le nombre d’euthanasies a augmenté de 10 %.

Il faut piquer les déments !

Qu’est-ce qui a permis ce glissement tragique ? Hormis le simple fait de légiférer – ce qui est illégal ne serait-il donc pas juste ? – la banalisation s’est faite par voie médiatique. La presse du monde entier a répercuté cet été la nouvelle d’une double euthanasie au « bénéfice » d’un couple qui a voulu « partir » ensemble. Nic Elderhorst et sa femme Trees, tous deux nés en 1926, se sont « endormis » la main dans la main après avoir été piqués en même temps : ils ne supportaient pas l’idée que la mort les sépare. C’était d’ailleurs le seul vrai motif de leur demande d’euthanasie puisqu’aucun des deux ne souffrait d’une affection en phase terminale. La nouvelle a fait le tour du monde, rapportée de manière admirative comme s’il s’était agi d’une très belle histoire d’amour. Jusqu’à présent, les euthanasies conjointes ont été très rares. Mais en attendant, le monde entier a été confronté à l’idée que l’histoire de Nic et Trees Elderhorst avait connu un heureux dénouement. D’ailleurs les faire-part ne se cachent plus : l’annonce de la crémation, sans la moindre référence religieuse, décrit tranquillement les circonstances de ces deux morts choisies. Mais le macabre été 2017 a connu d’autres cas médiatisés et particulièrement poignants. Ainsi en va-t-il de la diffusion, sur un documentaire, de la mort de Liseanne, 25 ans, filmée pas à pas au cours des 15 derniers jours de sa vie, atteinte de dépression et de troubles mentaux ainsi que d’une maladie musculaire très débilitante. Le principe de ce type de documentaire est toujours le même : on voit le malade circuler, passer de bons moments avec les siens, avant de se coucher pour recevoir une dose létale de médicaments. À cet égard le parti pris des médias néerlandais est évident : l’idée est vraiment de présenter une telle mort extrêmement violente comme l’image même de la douceur et de la délivrance. La tendance est d’ailleurs à la démocratisation. Le nombre d’euthanasies données pour des raisons psychiatriques ou pour cause d’avènement de la démence ne cesse d’augmenter. Au point que certains anciens soutiens de l’euthanasie s’en inquiètent, tel Boudewijn Chabot qui a « aidé une femme à mourir en 1993 » alors qu’elle souffrait uniquement du point de vue psychologique. Il a tort, proclame un pédopsychiatre, Menno Oosterhoff. L’euthanasie évite des suicides. Il pense, et il s’en réjouit, qu’un renversement culturel s’est produit à propos de l’euthanasie en cas de maladie psychique. À la limite il verrait bien sa fréquence augmentée. Cerise sur le gâteau, le médecin en chef de la clinique de fin de vie, Constance de Vries pense que pour vraiment répondre à la demande il faudrait que les jeunes, les conjoints, pensent à entamer la conversation avec leurs proches s’ils constatent qu’une personne en voie de devenir démente pouvait demain ne plus être compétente pour demander son euthanasie – cas auquel les médecins néerlandais refusent le plus souvent de l’accorder. « Bon, il serait temps, tante Albertine. Tu perds la tête. C’est maintenant ou jamais. » La conversation qui tue ! 

Jeanne Smits

Connexion ou Créer un compte