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Gabrielle Cluzel

Journaliste
 

« Le féminisme à son origine était une aspiration naturelle »

Gabrielle Cluzel est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles, dont Rien de grave (Prix Renaissance 2006) et d’un essai sur les dernières heures du féminisme, Adieu Simone (éd. Le Centurion). Elle s’explique ici, avec la verve qu’on lui connaît, sur le féminisme comme idéologie, même si elle n’oublie pas qu’il s’agit aussi d’une aspiration naturelle !

Gabrielle Cluzel, nos lecteurs vous connaissent bien, à travers votre chronique toutes les trois semaines, vous défendez avec esprit, en toute occasion la cause des femmes et en même temps vous écrivez sur ce que vous avez appelé dans un ouvrage récent « les dernières heures du féminisme ». N’y a-t-il pas une contradiction dans cette double attitude ?
Non, je ne crois pas. C’est le féminisme qui est une contradiction. Car si le perfectionniste aime la perfection, le djihadiste, le djihad, l’interventionniste, l’intervention, etc. Le féminisme – en tout cas le féminisme tel que nous le connaissons – n’aime pas la femme. Le « isme » est usurpé.
Ou alors il les aime à la manière d’un conjoint pervers narcissique qui prétendrait aider sa compagne en la dénigrant, en cherchant à la convaincre que ses qualités propres n’ont aucun intérêt, et qu’elle devrait au contraire briguer celles du voisin – l’homme – dont la vie est tellement plus merveilleuse. La laissant évidemment insatisfaite, car elle ne pourra jamais être pleinement homme.
Un vrai féminisme, au sens étymologique du terme, devrait au contraire l’encourager à s’épanouir telle qu’elle est, avec ses talents.
Est-ce que je jette le bébé avec l’eau du bain, en fustigeant le féminisme ? Le mot, au moins, devrait-il être sauvé ? Ne devrait-on pas parler de néo-féminisme ? Je ne sais pas. C’est à débattre. Certains mots sont si piégés, défigurés… qu’ils sont difficiles à débarbouiller ! Le mot féminisme a une connotation datée quasi marxiste, prônant la lutte des sexes comme d’autres prônaient la lutte des classes, il est un peu à la famille ce que le syndicalisme était au corporatisme. On voit qu’actuellement le syndicalisme est déserté car il ne correspond plus à une réalité. Le féminisme est aussi obsolète. Si je défends la cause des femmes, c’est parce que je crois à l’éternel féminin, qui n’est pas pour rien dans la pacification, la sensibilité, l’esprit de finesse de notre civilisation. Ne m’avez-vous pas dit, un jour, vous même, Monsieur l’abbé, que vous préfériez confesser les femmes parce qu’elles étaient plus subtiles ? (Rassurez-vous, je ne le répéterai à personne !) Et je ne voudrais pas voir tout cela piétiné. Pas plus que je ne voudrais voir l’éternel masculin disparaître, qui a lui aussi ses qualités propres, et sans lequel son alter ego féminin évidemment, ne trouverait pas, à jouer sa partition.

De quel dérèglement les Femen sont-elles le nom ? Du féminisme ?
Les Femen n’ont rien à voir avec la défense de la femme. Le mouvement Femen a été créé de toutes pièces et imposé comme symbole de la libération féminine, quand il ne sert que les intérêts de la gauche. D’où, du reste, ce récent prix de la laïcité remis à Inna Shevchenko par la mairie de Paris (à l’instigation du propre avocat des femens, comme le montre l’invitation). Il est dramatique de les ériger en symbole de libération de la femme, comme si elles étaient la seule alternative à opposer, par exemple, à la condition féminine dans les pays islamiques. Quel repoussoir !
Croyez-vous réellement que des femmes sensées, si elles avaient dû élire des représentantes crédibles, auraient porté leurs suffrages sur ces filles au physique d’escort girl venues de l’est, nues comme des vers, éructant des grossièretés et comme atteintes de la danse de Saint-Guy ? Franchement ? Si les Femen ont été choisies, ce n’est pas par les femmes. Il suffit de voir la photo très amusante prise au moment de la remise du prix de la laïcité : ces notables rubiconds comme droit sortis d’un dessin de Daumier, assis en rang d’oignon à la tribune, tournant d’un seul mouvement leurs regards réjouis vers la blonde sylphide ukrainienne debout, devant le pupitre…


Le féminisme n’est-il pas autre chose qu’une idéologie ? J’ai posé la même question à Alain de Benoist : comment définiriez-vous un féminisme raisonnable ?
Le féminisme, à son origine, avant qu’il ait conscience de lui-même et soit théorisé – puis aussitôt récupéré –, était somme toute une aspiration naturelle. Les sociétés frustes, où règne la loi de la jungle, c’est-à-dire celle du plus fort ne faisaient pas la part belle à la femme, faible par nature. Les féministes n’ont pas de mots assez durs pour la religion catholique mais elles ignorent sans vergogne une réalité : S’il est une religion qui a permis à la femme de relever la tête, c’est bien celle-là.
Dans son livre Le nouvel âge des pères, Chantal Delsol écrit : « Je ne suis pas étonnée de constater que les femmes ont toujours été humiliées dans tous les temps et sous toutes les latitudes. (…) parce qu’en effet les femmes sont physiquement plus faibles (…) En revanche, je suis impressionnée de lire chez Paul de Tarse : “Il n’y a ni homme ni femme, tous sont égaux sous le regard de Dieu ” (Épître aux Galates 3, 28). De constater que les femmes du Moyen Âge occidental émergent peu à peu de cette humanité de seconde zone. »
C’est le christianisme qui a instauré le mariage monogame avec consentement libre et mutuel. À un âge plus « avancé », permettant ainsi aux fillettes de s’instruire. On voit, du reste que dès lors que le mariage s’effondre, la question du consentement précoce revient sur le devant de la scène… confer la jurisprudence récente.
« Ce n’est pas un hasard si ce sont des sociétés dont l’héritage est chrétien, qui ont vu naître, les premières requêtes du féminisme » rappelle l’historienne Anne-Marie Pelletier, dans Le christianisme et les femmes, vingt siècles d’histoire.
Comme le glisse finement Régine Pernoud dans La femme au temps des cathédrales, ce n’est pas un hasard non plus si toute l’Europe a été convertie grâce à l’influence de reines chrétiennes, à l’instar de Clotilde en France, Théodelinde en Italie, Théodosia en Espagne, Berthe en Angleterre ou encore Edwige en Pologne. Si leur conversion était sans doute sincère, elles y trouvaient aussi leur intérêt de femme… c’était cela le féminisme raisonnable que vous évoquez, non ?
Il ne s’agit pas de tout repeindre en rose, nos sociétés n’ont pas été exemptes de misogynie, avec plus ou moins de force selon les siècles. Cette misogynie, cependant, n’a pas existé “à cause” de la religion chrétienne, mais “malgré” elle.
Et puis le féminisme a été récupéré, pour devenir non pas une idéologie – son corpus est faible, peu cohérent, toujours imbriqué, comme une poupée russe dans une autre  lutte avec laquelle elle prétend « converger » : anti-racisme, cause LGBT, etc. – mais une béquille idéologique. Imitant son égérie Simone de Beauvoir, le féminisme a toujours couché avec la philosophie de gauche… et lui a servi d’alibi.

Le travail des femmes est devenu une nécessité économique dans la grande majorité des familles. Est-ce une bonne chose pour les femmes ou bien fallait-il les cantonner à la tâche sacrée de l’éducation des enfants ?
Je crois qu’il faut en finir avec cette guerre entre la femme au foyer et la femme qui travaille – celle qui aurait sacrifié sa carrière à ses enfants et celle qui aurait sacrifié ses enfants à sa carrière. Ce clivage est dépassé, et nourrit une frustration sur laquelle s’appuie le féminisme d’aujourd’hui : les femmes ne peuvent pas tout avoir. Les hommes, eux, si. Il doit y avoir une porosité entre les deux statuts, en fonction de la période de la vie et de l’heure de la journée !
Notons au passage que selon les milieux, le travail peut être vécu comme une libération ou une aliénation. Une caissière travaille rarement pour son épanouissement personnel. C’est le féminisme beauvoirien, qui est en même temps « bovaryen » c’est à dire bourgeois et désœuvré (comme le personnage de Flaubert), qui a idéalisé le travail de la femme.
Il est un fait qu’aujourd’hui, le travail des femmes devient souvent une nécessité – il le sera de plus en plus dans les familles nombreuses souhaitant offrir une éducation digne de ce nom, les allocations familiales disparaissant et l’école subventionnée sombrant tel le Titanic. Le travail est aussi une suite logique, une aspiration normale après des études poussées et professionnalisantes. Mais il y a aussi le temps de la maternité, de l’attente, de la naissance, il y a le lien tout particulier entre la mère et l’enfant qui ne se réduit pas au seul cordon ombilical, reconnu par les juges aux affaires familiales eux-mêmes, qui ne mettent jamais en garde alternée – un projet de loi vient de le rappeler ces derniers jours – en cas de divorce, un enfant tout petit. Vient ensuite celui de l’éducation, moment de transmission au quotidien. Finalement, tous les petits Français auront été élevés dans un contexte culturel exotique : dans les banlieues, du fait de la mixité sociale, dans les milieux bourgeois, du fait des nounous… Mais ce n’est pas le travail qui éloigne la mère (et le père) de l’enfant : les femmes au foyer, même si elles ne sont pas rémunérées, s’activent aussi. C’est la distance d’avec le domicile et la rigidité horaire. Zélie Martin travaillait. Avec de vraies préoccupations de chef d’entreprise, on le lit dans sa correspondance publiée récemment : son mari a même abandonné son métier d’horloger pour la rejoindre dans son activité. Mais elle travaillait chez elle, ou dans un endroit contigu. Elle était présente en cas de besoin, elle jetait un œil sur tout. De même la paysanne, la commerçante vivant au-dessus de sa boutique n’étaient pas loin, allant et venant, confiant entre deux leurs enfants à une vieille mère ou une vieille tante – avant l’éclatement géographique – qui transmettaient la même culture familiale… Je crois que le travail salarial loin du foyer et à pointage horaire n’a été qu’une parenthèse qui disparaitra peu à peu avec les nouvelles technologies. On ne cite que les méfaits de l’uberisation de la vie professionnelle, mais elle a aussi des effets vertueux, comme la reprise en main de l’organisation de son travail. Y compris pour les hommes d’ailleurs. Un très récent article du Figaro, sous la plume de Quentin Périnel, anticipait la fin du très français « présentéisme » au bureau, avec le « télétravail, les tiers lieux, outils numériques et autres modes de management ». Seule restera l’obligation de résultat.
Les femmes plébiscitent aujourd’hui le statut d’auto-entrepreneur. Elles plébiscitent aussi le télétravail, possible, au moins pour partie, dans bien des métiers : celui-ci inverse les proximités – physique avec sa famille, virtuelle avec le travail –, et permet de fractionner son temps : on peut aller chercher son enfant pour déjeuner, en contrepartie, on travaillera tard le soir. Quelle féministe creuse ces dossiers ? On préfère dissuader les femmes d’avoir des enfants et leur recommander de congeler leurs ovocytes (pour quand ? L’âge de la retraite ?)

Que pensez-vous de la campagne anti-viol qui a fait rage dans les réseaux sociaux sous le hashtag « Balance ton porc » ? N’y a-t-il pas à cette occasion une prise de conscience ?
Il y a une prise de conscience confuse de la grossièreté, de la dérégulation, du manque de retenue qui règnent sur les rapports homme-femme. De « l’homme propose, la femme dispose », avec tout le jeu de galanterie se déployant dans l’intervalle, on est passé, comme ce hashtag le montre, à « l’homme impose la femme s’oppose ». Mais on refuse de tirer le fil pour remonter aux sources, d’incriminer la libération sexuelle de Mai 68 qui n’a pas été une contre-culture mais une non-culture. Puisqu’on est revenu peu ou prou au règne animal… où la femelle est rarement dominante. Sans parler bien sûr, des populations allochtones qui arrivent sur notre sol avec un regard sur la femme bien différent du nôtre. On préfère tout mélanger, le compliment et le viol, ce qui permet, elle a si bon dos, d’incriminer la société patriarcale. Autant dire qu’avec un mauvais diagnostic, il ne saurait y avoir un bon traitement. Par ailleurs, cet encouragement de toutes les délations postule que la parole d’une femme est vraie par nature, comme celle d’un enfant, qu’elle n’est capable d’aucune duplicité, vengeance, d’aucun calcul… c’est terriblement sexiste !

Je ne vous demande même pas ce que vous pensez de l’écriture inclusive… Mais de quoi est-ce le symptôme ? Comment caractériseriez-vous cette maladie étrange ?
D’infantilisme structurel. Ce sont les enfants qui tyrannisent leur entourage pour de toutes petites exigences dérisoires, et n’ont pas conscience des vrais dangers qui les menacent.

Les femmes sont traditionnellement considérées comme les gardiennes de la famille. N’est-ce pas ce rôle et cette supériorité que l’on veut à tout prix leur faire perdre ?
En tant que mère, elles sont évidemment la source et l’épicentre de la famille. Elle n’ont pas la force physique, mais elles ont cette puissance symbolique de donner la vie. « J’aurais beau être PD comme un phoque, je ne serai jamais en cloque », chantait Renaud. En externalisant la maternité, en la fragmentant (par la GPA par exemple), en dissociant féminité et maternité, on dépossède les femmes. Un article du Huffington Post, après #BalanceTon Porc suggérait avec un certain bon sens « d’enseigner le respect à ses garçons ». Et de citer Christine Barois, pédopsychiatre : « On peut aussi les interroger : parlerais-tu ainsi à ta mère ou à ta grand-mère ? » Mais qui donc, depuis plusieurs années travaille à décorréler la sexualité de la procréation, la féminité de la maternité, rendant inopérante l’injonction de ce psychiatre de se référer à l’image de la mère et de la grand-mère ?


Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

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