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Eric Letty

Editorialiste

Itinérance à travers un centenaire raté

«Itinérance mémorielle. »Il fallait y penser. Grâce à ce concept, sorti tout armé d’une réunion de communicants comme Minerve du crâne de Jupiter, Emmanuel Macron souhaitait« lier les douleurs d’hier à celles d’aujourd’hui »pour commémorer l’armistice de 1918. À cette fin, le président de la République, a transité d’un site historique à un site d’entreprise, d’une visite aux Éparges à celle d’un centre social, de Verdun à un Ehpad… Gueule cassée des sondages, il a tenté de retrouver le feu sacré sur la voie du même nom, tout en nous parlant (le fameux« et en même temps »…) de la hausse du prix du diesel à la pompe.Douaumont, le Bois des Caures, la main de Massige et le Chemin des Dames, en2018, ce ne serait pas un peu poussiéreux ? De nos jours, cent ans paraissent un siècle ! Mais si l’anniversaire du conflit donnait au président l’opportunité d’aller visiter les bouseux de laFrance périphérique, il n’aurait pascomplètement perdu son temps. À la guerrecomme à la guerre, il faut bien préparer les européennes en parlant aux électeurs de ce quiles intéresse : niveau de vie, gross malheur !C’est raté. La traversée de la Franced’Emmanuel Macron – un moment de« vrai bonheur », assure-t-il –, lui a permis demesurer à quel degré d’impopularité il estdésormais tombé. Mieux aurait valu, pour lui,s’en tenir à l’hommage aux soldats morts pourla France. Mais encore eût-il fallu qu’il ycrût… La seule comparaison, indécente, entreles « douleurs d’hier »et « cellesd’aujourd’hui »montre que ce n’est pas le cas.Le chômage est vécu comme un drame, lahausse du prix des carburants et celle de laCSG sur les retraites font grincer des dents lescontribuables, mais tout ça n’a rien à voir avecles millions de morts et de mutilés de laGrande guerre. À considérer la manière dontse déroule le centième anniversaire de ce quele président de la République française n’osemême plus qualifier de victoire, il apparaît quenos « élites » ne comprennent plus le sens deleur sacrifice, ni les sentiments qui animaientles poilus. Eux, savaient ce qu’ils défendaient ;nous ne savons même plus qui nous sommes.Pris de court, semble-t-il, Macron a sorti desa boîte à malice une idée de secours :panthéoniser Maurice Genevoix. Les mémoiresde ce grand écrivain, « Ceux de 14 »,sont sans doute le plus beau témoignage sur cetteguerre du côté français. Mais, même si lapanthéonisation reste une valeur sûre enmatière de commémoration, cet hommageposthume sent quelque peu la solution derattrapage.Le dernier épisode du ratage concerne lapolémique autour de la figure du maréchalPétain. Fallait-il célébrer sa mémoire ? L’État-major et l’Élysée se sont affrontés, les militairesdésirant rendre hommage aux Invalides à tousles maréchaux de la Grande guerre et lespolitiques souhaitant éviter d’y associer lamémoire de Philippe Pétain. Il avaitfinalement été décidé qu’Emmanuel Macron,dont la présence à cette cérémonie était àl’origine prévue, s’y ferait représenter par sonchef d’état-major particulier. Mais, patatras ! au détour d’une rue, le président qualifiePétain de « grand soldat »… Émoi de lagauche et du Conseil représentatif desinstitutions juives de France. Écartez tous lesfaits, disait déjà Rousseau : l’historiquementcorrect exige que le vainqueur de Verdun n’ait eu aucune participation à la victoire. La pantalonnade est complète !On retiendra finalement qu’alors que leschefs d’État du monde entier étaient venusen France célébrer le centenaire de l’armistice,les seuls absents de la commémoration étaientles Français, trop occupés à scruter leursquerelles idéologiques pour honorer lamémoire de leurs morts.

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