« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Eric Letty

Editorialiste

Les retraites de charybde en scylla

Voilà plus d’un mois maintenant que la France est bloquée par la grève dans les transports publics, qui coûte déjà 700 millions d’euros à la SNCF et une centaine à la RATP (et que les contribuables paieront, puisque ces sociétés appartiennent à l’État). Elle handicape en outre l’ensemble de l’économie française, avec un coût financier et humain encore bien supérieur.Les syndicalistes, qui prétendent agir en solidarité avec les travailleurs du secteur privé, se moquent du monde. Cet argument leur avait déjà servi à conserver les régimes spéciaux en 1995, alors qu’ils n’avaient élevé aucune protestation deux ans auparavant, quand la réforme Balladur avait durement rappé les régimes du privé. De quelle« solidarité » peuvent-ils se prévaloir, quand, pour défendre des régimes spéciaux dont les bénéficiaires jouissent de la sécurité de l’emploi, ils organisent une grève qui met en danger les entreprises et les emplois des travailleurs du privé, salariés ou indépendants, par ailleurs moins bien lotis en matière de retraites ? Et quand, par ailleurs, le refus d’abandonner une partie des coûteux privilèges de ces régimes aboutira à creuser la dette publique et à accroître la dette-retraite (près de 10 000 milliards d’euros d’engagements non financés, dont environ2 000 milliards pour la seule fonction publique de l’État), que les jeunes générations devront payer en plus du coût dela grande dépendance, et cela dans un contexte démographique défavorable ?De son côté, le gouvernement se garde de communiquer ces chiffres aux Français. Depuis 2017, au contraire, Emmanuel Macron, Edouard Philippe et l’ex-haut-commissaire Delevoye ont menti sciemment en prétendant que le système était« presque » à l’équilibre. Faribole et fumisterie ! Le gouvernement a mis deux ans et demi à préparer un projet flou, pas financé, auquel les Français n’ont pas été associés en dépit des « concertations »fumeuses organisées par Jean-Paul Delevoye comme autant de « coup de com’ ». Ce projet, Edouard Philippe y a d’ailleurs déjà renoncé en grande partie en recourant à une« clause du grand-père » qui fera porter le coût de la réforme aux générations qui sont encore aujourd’hui sur les bancs de l’école –mais en épargnant les « papy-boomers » sur le vote desquels Macron compte pour se faire réélire en 2022. Il n’en restera, demain, que le calamiteux projet de fusion du régime général et des complémentaires du privé, la confiscation par l’État des réserves des caisses les mieux gérées, et le passage aux points, qui n’a pas que des défauts mais permettra surtout de baisser plus discrètement le rendement des régimes. Au bout du compte, le « régime universel » annoncé par le gouvernement dissimule une étatisation accrue du système de retraite, qui marginalisera le rôle des« partenaires sociaux », organisations syndicales et patronales actuellement associées à la gestion (sous la tutelle étatique) des régimes complémentaires des salariés du privé (qui sont à l’équilibre financier, à l’inverse du régime général, mal géré par l’État). Les syndicats ont d’ailleurs dénoncé cet accroissement de l’étatisation du système, et sur ce point, ils ont raison.Si l’opposition des syndicalistes du public au projet gouvernemental est critiquable dans ses méthodes et par certains de ses objectifs, ledit projet n’en est donc pas moins mauvais pour autant. Les Français n’ont unefois de plus le choix qu’entre charybde et scylla. Et la véritable réforme qu’appelle la situation critique du système de retraite, ne semble pas près de voir le jour.

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