« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Eric Letty

Editorialiste

Le naufrage du « nouveau monde »

De “l’affaire Griveaux”, qui défraie la chronique ces jours-ci, Maxime Tandonnet a tiré sur le site du Figarovox des leçons à peu près inverses de celles que j’en retiens. Cet ancien inspecteur général de l’administration au ministère de l’Intérieur, proche de Nicolas Sarkozy, déplore que 79 %des Français aient aujourd’hui une image négative de la politique – entendez plutôt : de la classe politique. Elle inspire de la méfiance à 39% d’entre eux, et du dégoût à 28 %. Tandonnet s’en émeut : « Après une série d’affaires tonitruantes qui ont ébranlé la démocratie française, notamment DSK et Cahuzac, les élections présidentielles et législatives de 2017 – elles-mêmes faussées par le scandale – se sont jouées sur la promesse de l’exemplarité, d’un renouvellement général, d’un “nouveau monde”, d’une “transformation” de la politique. La preuve est faite aujourd’hui, à travers le séisme parisien touchant de plein fouet une personnalité emblématique de ce nouveau monde, que le naufrage de la politique française dans le psychodrame et le sordide n’a jamais interrompu sa course folle », écrit-il.Ce constat me paraît juste. Le « renouvellement » macronien n’était, en effet, qu’un faux-semblant auquel seuls les gogos ont pu se laisser prendre. Il suffit de considérer la formation, le parcours professionnel et politique d’Emmanuel Macron pour comprendre que c’est un pur produit du sérail, représentant symbolique des fausses élites qui conduisent le pays à la ruine depuis des décennies. Mais je ne suis plus Tandonnet lorsqu’il conclut à la nécessité – pour sauver ce qu’il appelle démocratie – d’étouffer la révélation (si l’on peut dire) de ce mensonge. Le haut-fonctionnaire parle de « lynchage-éclair »,assure que « ce n’est sûrement pas sur Benjamin Griveaux que doit rejaillir la honte du séisme qui secoue la campagne parisienne, mais sur les seuls auteurs de la fuite sur les réseaux sociaux »,condamne « une banalisation de la délation qui fait froid dans le dos », regrette que « la tradition française de séparation de la politique et des affaires privées [ait] volé en éclats sous les effets de l’américanisation de la société et des réseaux sociaux », demande enfin :« Que reste-t-il de la traditionnelle indulgence nationale envers les frasques personnelles des responsables et dirigeants politiques? Le secret et la notion même d’intimité ont disparu. »Autrement dit, il aurait fallu continuer à mentir aux Français. Mais à quel titre ? Au nom de la haine d’une délation que le gouvernement encourage pourtant lui-même, par exemple en dénonçant publiquement les entreprises accusées de pratiquer la discrimination ? Ou au nom de la distinction entre les sphères publique et privée – comme si les élus de la nation devaient être frappés du complexe de Janus, nouveaux docteur Jekyll et mister Hyde dotés d’une personnalité schizophrène ? Ou encore, au nom d’on ne sait quel droit à l’intimité ? C’est oublier qu’un candidat à un mandat public devient un homme public !Les Français doivent-ils ignorer qu’un politicien qui aspire à devenir maire de la capitale est capable d’adresser à une femme approchée via les réseaux sociaux des vidéos pornographiques dans lesquelles il se met lui-même en scène ? Aurait-il fallu taire aussi, toujours sous prétexte de conforter la démocratie, l’agression sexuelle commise en2011 sur une femme de ménage américaine par un autre homme politique (dont Griveaux fut d’ailleurs un proche collaborateur), en qui beaucoup voyaient déjà un futur président de la République ? Il me semble qu’au contraire, les électeurs doivent être informés de comportements qui témoignent chez certains élus d’un déséquilibre psychique, susceptible d’avoir des conséquences dommageables dans l’exercice de leur mission.N’en déplaise à Maxime Tandonnet, le principal responsable de la chute peu glorieuse de Benjamin Griveaux s’appelle Benjamin Griveaux. Et le naufrage personnel de cette« personnalité emblématique »d’un « nouveau monde » en trompe-l’oeil, n’est jamais qu’une illustration de celui, plus global, de la macronie elle-même.

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