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Eric Letty

Editorialiste

Strasbourg sous les canons de l’islam turc

Est-ce parce que vert est aussi la couleur de l’islam, que les écologistes français glissent vers l’islamo-gauchisme ? La municipalité « verte » de Strasbourg a octroyé une subvention de 2,5 millions d’euros à l’association islamiste turque Millî Görüs, proche des Frères musulmans, pour contribuer à bâtir dans la capitale alsacienne la plus grande mosquée d’Europe. Une érection symbolique au coeur d’une ville emblématique. Le temps n’est plus où le président du Conseil Albert Sarrau redoutait de la laisser placer « sous le feu des canons allemands ».Les canons de l’islam ne sont certes pas faits d’acier comme ceux de Krupp, mais ils menacent aussi, d’une autre façon, notre civilisation.Les autorités de l’État minimisent l’importance et les conséquences de cette construction. Emmanuel Macron réduit le sujet à de la cuisine électorale en prophétisant une ingérence de la Turquie dans la prochaine élection présidentielle – il avait adressé le même reproche aux Russes en 2017. Son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, rappelle que Millî Gôrüs n’a pas voulu signer la charte des « valeurs de la République »– qui ne satisfait pas plus les catholiques et les juifs que les musulmans. Dans l’opposition, Mélenchon vitupère, par anticléricalisme, le concordat dont bénéficie l’Alsace... Les vraies questions sont ailleurs.Cette nouvelle grande mosquée (il en existe déjà une à Strasbourg) illustrera l’influence de plus en plus prégnante dans notre pays d’un islam turc, qui constitue aussi une force politique au service du président Recep Tayyip Erdogan. Ambitieux, ce vrai chef d’État n’oublie pas l’époque encore récente où son pays était le coeur de l’empire ottoman et se présente comme le protecteur des croyants. Ainsi déclarait-il, le 5 janvier 2018 : « Les musulmans de France sont sous ma protection. Ceux qui voustouchent, me touchent. »Au mois d’octobre dernier, il dénonçait une « campagne de lynchage »prétendument menée contre eux, qu’il comparait sans reculer devant l’outrance à l’antisémitisme en Europeavant la Deuxième Guerre mondiale.Certes, il y a loin de la coupe aux lèvres : les organisations islamiques turques ne sont pas majoritaires en France, où les grandes mosquées sont contrôlées par différents États (la mosquée de Paris par l’Algérie, celle d’Evry par les Marocains) et se concurrencent. Les musulmans qui résident dans notre pays sont surtout originaires des pays du Maghreb – et non de Turquie, comme en Allemagne où est née la confédération Millî Görüs. Mais Erdogan voit loin. En même temps qu’il se pose en champion de l’islam, il défie la France, qui s’est opposée à lui – c’est à mettre au crédit d’Emmanuel Macron – quand il convoitait es gisements d’hydrocarbures situés dans les eaux territoriales grecques, où croisaient les bateaux de guerre turcs et français. (Au contraire, le gouvernement d’Angela Merkel s’était montré conciliant, en raison de l’importante communauté turque établie outre-Rhin et des relations économiques nouées entre l’Allemagne et la Turquie.)Les incidents se sont récemment multipliés. En juin2020, une frégate turque a procédé, au large de la Libye, à plusieurs “illuminations radar” contre un navire de la marine nationale, ce qui est considéré comme un acte d’hostilité pouvant précéder une ouverture du feu. Et au mois d’août, Erdogan a évoqué la possibilité d’un affrontement en déclarant : « Lorsqu’il s’agit de combattre, nous n’hésitons pas à donner des martyrs (…) ceux qui s’érigent contre nous en Méditerranée [et au Proche-Orient] sont-ils prêts aux mêmes sacrifices ? » Nous voilà loin d’un débat sur le bien fondé du concordat ou les valeurs de la République. Le maire« vert » de Strasbourg, Jeanne Barseghian, n’a pas tort d’appeler l’État à prendre ses responsabilités si la construction d’une mosquée turque constitue une ingérence étrangère sur le sol français. Il en va de la souveraineté et de la sécurité nationale.Monde&Vie souhaite à ses lecteurs de joyeuses fêtes de Pâques.

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