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Hubert Champrun

Pages Culture

Poussin et la lumière de la foi

L’autoportrait de Poussin ouvre l’exposition. Il nous regarde, calme, un peu triste, vêtu de sombre dans une pièce aux murs bruns, des toiles brunes derrière lui, sauf un unique et lumineux visage de femme antique que deux mains embrassent, dans la dernière toile, au fond. Tout est médité et posé, contrôlé : non pas inerte mais contenu, au point que l’immobilité en devient formidable, signe d’une présence complète. Dans sa carrière étrange et solitaire, à l’écart des puissants, soutenu par un petit cercle, Poussin ne sera pas autrement : contenu et intense. Dans ses tableaux longuement pensés puis réalisés, Poussin infuse toute sa science mais surtout sa prière, comme en témoigne son refus de peindre un Portement de Croix : « Je n’ai plus assez de joie ni de santé pour m’engager dans ces sujets tristes. Le Crucifiement m’a rendu malade. J’y ai pris beaucoup de peine, mais le porte croix achèverait de me tuer. Je ne pourrais pas résister aux pensées affligeantes et sérieuses dont il faut se remplir l’esprit et le cœur pour réussir à ces sujets, d’eux-mêmes si tristes et lugubres. » Ses « fervents », sur la toile avaient cette qualité de regard, cette intensité de réflexion. Car regarder un tableau de Poussin équivaut à lire un essai : l’introduction éclaire, les pages dé­veloppent, la conclusion ramasse, et la thèse dé­fendue et illustrée projette un jour nouveau sur le sujet étudié, voire sur la réalité. Chaque tableau est un acte de foi éclairée par l’intelligence. Poussin est un peintre de la Contre-Réforme, et l’expo­sition Poussin et Dieu insiste sur cette dimension essentielle de son œuvre, sa foi. Selon l’époque et l’exégète, cette foi de Poussin ne paraît pas si certaine : n’étant pas dans l’effusion, l’émotion, mélangeant le profane et le sacré, Poussin serait, à entendre certains commen­tateurs, une manière de stoïque agnostique… Il suffit de regarder sa lumineuse Assomption, où la Vierge encore jeune s’élance vers le ciel com­me si elle prononçait un autre Fiat, pour être con­vaincu du contraire : on dépasse la simple commande. Les commissaires en sont bien persuadés, et leurs choix d’œuvres (avec les grandes séries comme les Sacrements ou les Quatre Saisons), leurs panneaux et leurs cartels prouvent un Poussin catholique. Singulièrement catholique, à l’écart des grandes tendances iconographiques, avec ce style si particulier (yeux exorbités, couleurs tranchées et expressives – comme Saphire, morte, grise et verdâtre, presque minéralisée) et cette volonté d’architecturer la contemplation, d’obliger le regard à parcourir tout le tableau, à s’attarder sur les détails. Des tableaux conçus pour être longuement regardés, ce que l’exposition ne permet pas forcément, pour élucider les références et dégager la leçon. Mais le commentaire y supplée, soulignant discrètement les influences, pointant un unique détail pour encourager l’exploration : comme cette pierre angulaire, figure du Christ, sur laquelle repose le bâton d’un des deux Aveugles de Jéricho., rappelant que pour saint Augustin l’aveuglement est d’abord celui du cœur. Le dernier tableau est Diogène jetant son écuel­le (alors qu’il voit un jeune homme buvant au creux de sa main), typique des grandes compo­sitions où la nature se déploie magnifiquement, autour d’une scène minuscule et cruciale. Comme toujours, il y a au loin des villes parfaites et minutieuses : peut-être préfigurent-elles les demeures célestes ? Ces deux bras de l’Autoportrait qui nous accueillait, c’est l’Amitié qui embrasse la Peinture ; c’est peut-être aussi le sens révélé en avançant dans l’œuvre ; ou l’ultime fenêtre où l’â­me se révèle enfin dans la Lumière : et lux æterna luceat eis, « que la lumière éternelle brille pour eux, Seigneur, et qu’ils jouissent du repos sans fin ». Chaque tableau religieux est un chemin de contemplation qui déjà nous éclaire.          

Poussin et Dieu, musée du Louvre, Paris, jusqu’au 29 juin 2015. En même temps, La fabrique des saintes images. Rome – Paris, 1 580 – 1660, au même endroit, revient sur cet art de débat et de conviction, avec des œuvres rares, dont une Mort de la Vierge du Caravage, des dessins de Vouet et un bas-relief du Bernin.  

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