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Entretien avec Elisabeth Nuyts

Travaillant sur les méthodes d’apprentissage de la lecture, Elisabeth Nuyts, logothérapeute, a développé des exercices qui obligent ses élèves à parler, à se parler, à analyser ce qui les entoure. Cela la conduit à une véritable analyse des puissances de l’esprit qui naît à lui-même. Le chemin qu’elle propose est remarquablement efficace. Elle nous a parlé ici des conditions actuelles de l’apprentissage.

Jeanne Smits : Vous qui travaillez avec des jeunesdepuis des décennies, estimez-vous quela situation devient pire ou meilleure ?

Elisabeth Nuyts : Pire ! Les méthodes de lecture se succèdent. Au début, dès 1947, on avait des méthodes globales, certes, puis dans les années 1950, la semi-globale. Maintenant se sont greffées là-dessus des méthodes de lecture où l’on privilégie la forme de la lettre : on travaille les différents signes, l’écriture manuelle, l’écriture de machine, d’imprimerie, l’écriture phonologique, et c’est à l’enfant de s’y retrouver. Une fois tous ces signes appris dans tous les sens, les exercices de «lecture» consistent à retrouver dans un texte certains signes, c’est tout. Cela sollicite seulement des circuits intuitifs : je vois, je dis, je fais, alors que pour bien apprendre, c’est plutôt cet ordre qu’il faut respecter : j’entends, je vois; jevois, je dis; je dis, je redis; je refais en disant ce que je fais. De formation en formation, d’élève que je reçois en élève que je reçois, je vois une dégradation considérable, et de moins en moins d’autonomie intellectuelle.

(...) 

On monte chez l’enfant, pendant des années, l’interdiction de réfléchir personnellement. Tout ce qui le permet : l’accès à la parole, l’accès à l’analyse (le questionnement), l’accès à la parole construite (la grammaire), a été cassé. La lecture n’est plus qu’une lecture de repérage: elle permet de lire des modes d’emploi, elle fait prendre l’habitude de faire balader son œil à droite et à gauche, ce n’est plus une lecture linéaire. Celle-ci est quasiment interdite puisqu’on demande aux enfants de ne plus suivre du doigt. Et même, à l’enfant qui lit à voix haute jusqu’au milieu de l’année en CP, on demande de lire un mot tout haut et d’avoir l’œil déjà beaucoup plus loin. Cette habitude de lecture avec l’œil et la voix dissociés va faire que la personne n’aura pas accès longtemps à sa mémoire. Cela peut créer l’illusion de la lecture : elle peut paraître très fluide puisque par ailleurs on demande à l’enfant de faire très attention à la ponctuation, de monter la voix et de la descendre aux moments opportuns. Mais quand ces enfants qui paraissent savoir lire arrivent à la fin de leur texte, ils ne se souviennent de rien.

Ceci est un extrait de l'entretien paru dans le numéro 908 en vente dans notre espace boutique Propos recueillis par Jeanne Smits

Pour aller plus loin : www.savoir-apprendre.info

 

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