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Eric Letty

Editorialiste

Lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem

Mon fils a rapporté du lycée un document fort instructif, comme tout ce qui vient de votre ministère, qu’en cette période de rentrée scolaire l’un de ses professeurs lui avait remis à notre attention, à sa mère et à moi. C’est donc en tant que père de famille et parent d’élève que je vous écris cette lettre. J’y apprends que le gouvernement auquel vous appartenez avec le bonheur que l’on sait, « refonde » depuis trois ans l’École, qui est « notre bien le plus précieux » parce qu’elle « fait vivre les valeurs fondatrices de notre destin collectif ». De fondations en refondations, il n’est pas surprenant que « l’Édnat », comme l’appelait Claude Allègre, touche le fond.Vous vous félicitez aussi des diverses réformes que vous avez entreprises et qui ne satisfont que vous et les hauts-fonctionnaires de votre entourage. J’admire en particulier l’exercice d’autosatisfaction qui vous porte à vous louer de la réforme des rythmes éducatifs, qui aboutit à priver les enfants de deuxième année de maternelle de la sieste indispensable à leur âge. Ils s’en dispenseront cependant : le dogmatisme socialiste commande même à la nature ! L’essentiel est que l’École de la République (majuscules obligatoires) soit « attentive au bien-être de chacun »…Tout cela n’est pourtant que broutilles au regard de votre grande idée. Les Français vous devront une immense gratitude, madame le ministre, du réarmement moral que vous leur proposez, ou plutôt leur imposez, à un moment où l’avenir est incertain et gros de périls. Les gens de Daesh, à l’humour aiguisé comme un couteau de boucher, s’amusent à nous effrayer en annonçant que quatre mille djihadistes se sont introduits en Europe à la faveur de la ruée sauvage que nous savons. C’est raté, même pas peur ! Car, grâce à vous, nous possédons, en France, une arme imparable contre le terrorisme : la charte de la laïcité à l’école.Vous m’apprenez que, comme tous les parents qui ont le bonheur de confier un enfant au service public de l’Éducation nationale, je serai bientôt invité à signer ce document de la plus haute importance. Au risque de vous décevoir, madame le ministre, je vous réponds que je ne la signerai pas. Il n’existe, à ma connaissance, aucun texte, aucune loi qui contraigne le citoyen français que je suis à passer sous vos fourches caudines et à m’associer à vos opérations de propagande, alors que le gouvernement auquel vous appartenez recueille aujourd’hui les fruits amers des politiques qu’il a encouragées et pratiquées au cours des dernières décennies.Votre Charte de la laïcité vise deux objectifs. Le premier, revendiqué, consiste à promouvoir les « valeurs de la République », telles que vous les concevez ; l’autre, moins clairement exposé, à les imposer aux consciences, ce qui les place de facto au-dessus des religions. Pour désarmer les oppositions, vous ou vos amis laissez entendre que l’islam est principalement concerné : il s’agirait d’empêcher la contestation de certains enseignements pour des motifs religieux. Le chrétien que je suis ne récuse pas l’idée d’une certaine laïcité, telle que Jésus Christ lui-même l’a exposée dans son Evangile : rendez à César ce qui est à César. Mais il existe une contrepartie : que ce qui est à Dieu lui soit aussi rendu ; et la conception de la laïcité que vous cultivez, madame le ministre, prétend au contraire lui enlever ce qui lui appartient. Elle ne diffère pas de celle de votre prédécesseur, Vincent Peillon, qui est à l’origine de la charte et expliquait par ailleurs, dans un entretien que l’on retrouve aisément sur Internet, que la laïcité est la religion de la République, fondée par la franc-maçonnerie dans le but de saper l’influence de l’église catholique sur les consciences. Une telle ambition n’est évidemment pas neutre et les « valeurs de la République » se confondent alors avec celles de la secte ésotérique franc-maçonne. En signant cette charte, souvent présentée comme « un texte à vocation essentiellement pédagogique et symbolique » (Libération), j’aurais peu ou prou le sentiment d’apostasier.En outre, je m’interroge sur le contenu de l’enseignement « moral et civique » imprégné de ces « valeurs », lorsque, sous prétexte de lutter contre les discriminations, votre ministère promeut la théorie du genre et relaie la propagande « LGBT » auprès des élèves.Un autre point me paraît problématique : vous êtes, madame, ministre de l’Éducation nationale, et non pas ministre de l’Éducation républicaine. Sans doute aimez-vous la République, surtout dans sa version socialiste ; personnellement, je préfère la France. Je suis prêt, madame le ministre, à signer n’importe quels manifeste, déclaration ou charte préconisant d’enseigner aux enfants français l’amour de leur pays ; mais je ne vois pas à quel titre, autre que la lourde tendance totalitaire du pouvoir socialiste que vous représentez, l’on me contraindrait à adhérer à des « valeurs de la République » qui, en un siècle et demi, ont conduit la France au bord de la disparition.Voilà pourquoi je ne signerai pas votre charte, en souhaitant qu’elle tombe aussi vite dans l’oubli que votre ministère. Veuillez agréer, si cela vous chante, l’expression de mon opposition déterminée.

Eric Letty

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