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Monde & Vie

Secrétariat Monde & Vie

Avec Philippe de Villiers

Très attendu, le dernier livre de Philippe de Villiers ouvre un nouveau cycle : après les livres politiques, puis la trilogie des saints et des héros – Charette, Louis IX, Jeanne d’Arc – voici son premier ouvrage de métapolitique appliquée. On y cherche – et on y trouve – des souvenirs sans fard, des témoignages abominablement révélateurs sur les hommes qui nous gouvernent. Mais l’important est de savoir pourquoi, et où Villiers veut aller. Son modèle ? Soljenitsyne. L’heure est à la résistance, à la dissidence. En refermant le livre, on se dit que la tâche sera rude, mais que le défi peut être relevé. Tout désespoir en politique est une sottise absolue…

Jeanne Smits : Philippe de Villiers, vous dites – c’est la première phrase de votre livre – : « J’ai été un homme politique, je ne le suis plus. Ma parole est libre. » On n’a jamais eu l’impression pourtant que votre parole ne fût pas libre : qu’y a-t-il de nouveau ?

Philippe de Villiers : Elle ne peut plus être suspectée. Je peux tout dire de ce que j’ai entendu et vu, maintenant que j’ai quitté l’arène. Auparavant j’étais tenu par une sorte d’obligation de réserve, car je ne me sentais pas habilité à mettre sur la place publique les conversations, les rencontres qui devaient rester discrètes. Aujourd’hui, tout a changé. Mon livre est un témoignage. J’essaie de retrouver le fil noir qui court dans la trame des avilisseurs et des naufrageurs en cravate de la classe politique française.

Vous en dressez des portraits sans pitié. Cette classe politique française, vous semblez y avoir trouvé surtout des « collabos ». Vous évoquez à la fin du livre le devoir de « résistance » ; vous les avez vus travaillant contre la France. Comment avez-vous pu travailler si longtemps à leurs côtés avec un tout autre propos ?

J’ai passé ma vie politique en décalage permanent par rapport à cette classe politique qui avait résolu depuis longtemps d’en finir avec la France. Dès 1991 avec l’affaire Urba, puis en 1995 avec l’élection présidentielle truquée, j’ai compris que cette classe politique était corrompue. A partir du débat sur le traité de Maastricht, j’ai compris qu’en fait elle était vendue aux Américains. Et maintenant avec ce qui se passe au Moyen Orient, je constate qu’elle est achetée par l’Arabie Saoudite et le Qatar. D’où les préventions de Hollande par rapport à Bachar el-Assad qui ne tiennent pas à son humeur personnelle mais aux consignes qu’il a reçues par rapport aux contrats en cours avec les pays du Golfe. J’ai été en dissidence tout de suite, avec ma Lettre sur les coupeurs de tête du Bicentenaire, avec La chienne qui miaule. Très vite, j’ai fondé mon propre mouvement politique, Combat pour les valeurs – dès 1990, deux ans après avoir quitté le gouvernement de Jacques Chirac. J’ai passé ma vie dans une posture d’opposant à l’intérieur de l’opposition et de la majorité. J’ai écrit ce livre à travers le prisme de mes souvenirs personnels, de mes combats, de mes rencontres, pour raconter comment j’ai vu tomber les murs porteurs et les poutres maîtresses. J’ai vu successivement les attaques sur le caractère sacré de la vie, puis la filiation comme repère, la nation comme héritage, la frontière comme protection, comme ancrage. Ils les ont abattus les uns après les autres. La France est en train de mourir, submergée de l’extérieur, effondrée de l’intérieur. J’ai vu au fil du temps progresser la haine de soi. Aujourd’hui, étudier l’histoire de France, c’est apprendre à haïr. Un pays qui n’a plus ni contour, ni conteur n’a plus d’identité, il est perdu.Mais ce qu’il faut bien comprendre, ce sont les étapes du processus ; on a glissé le long d’une pente. La France de Georges Pompidou que j’ai connue n’avait pas grand-chose à voir avec la France d’aujourd’hui. Celle-ci a accompli les promesses de Mai-68 : c’est Giscard qui a tout fait basculer avec le chassé-croisé démographique : avortement de masse, immigration de masse. C’est Giscard qui est le fils spirituel de Cohn-Bendit et qui a inauguré l’ère du « No frontier » des libéraux et des « No limit » des libertaires. On a descendu les marches les unes après les autres.J’ai mené tous les combats, du référendum sur Maastricht à celui sur le traité de Lisbonne, mais en fait ceux qui disaient la vérité sont partis, ont été éclipsés ou sont morts, et ceux qui demeurent sont ceux qui ont toujours menti.Une idéologie pour fabriquer un homme nomade, déraciné, désaffilié, asexué.

Dans votre livre vous ne parlez guère du Front national et pas du tout de Marine Le Pen. Vous dites à propos de la montée du Front national que « les régimes totalitaires ont toujours jeté les jeunes contre les vieux ». Croyez-vous que le Front national puisse aujourd’hui apporter des solutions ou que finalement il faut le mettre sur le même plan qu’un Tsipras, un Podemos en Espagne ou un Corbyn en Angleterre ?

Je pense que Marine Le Pen traduit aujourd’hui, et capte la souffrance identitaire des Français, tout simplement parce que les Français crient dans l’urne leur colère et leur détresse. Elle capte un vote et une humeur de désarroi. Les Français se servent d’elle comme du plombier polonais pour purger les tuyaux du système. Quand on regarde de plus près ce qu’est le Front national aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il y a un combat qui est juste, contre le libéralisme économique, et un combat qui manque, contre le libéralisme sociétal. En fait, cette souffrance identitaire n’est prise en compte que de manière partielle et à partir d’une « marque » qui d’ailleurs n’est peut-être pas tout à fait la même.

Vous avez parlé du « fil noir », du fil conducteur de votre livre. J’en ai vu un que j’exprimerais ainsi : l’être a été remplacé par l’avoir, et sans être il n’y a même plus d’avoir.

C’est tout à fait juste. On est passé des patries charnelles où les mots avaient un sens, ainsi que les affections, les voisinages, à la marchandisation de la vie quotidienne, au consumérisme et à l’hédonisme, tout simplement parce que derrière ce fil conducteur que vous décrivez, il y en a un autre : c’est le mondialisme. C’est le mondialisme qui brise les attachements vitaux. Le mondialisme est né du boboïsme post-soixante-huitard, et de cette conjonction formidable et inouïe entre ceux qui par intérêt voulaient créer un marché planétaire de masse, et donc abattre les frontières, les nations, les États, les souverainetés, et ceux qui par idéologie voulaient fabriquer un homme nomade, déraciné, désaffilié, asexué. C’est cette rencontre entre les bourgeois et les bohèmes, qui a donné naissance au « bobo », au moment même où du milieu des entreprises émergeait le troisième type de l’entreprise : après l’entreprise familiale, puis l’entreprise nationale, on avait l’entreprise non plus multinationale mais anationale, la firme anationale.Que veulent les firmes anationales, comme Google ou Microsoft ou Apple ? Elles veulent des consommateurs compulsifs et l’extension indéfinie du marché du désir : pouvoir s’adresser non plus à des consommateurs protégés par des écrans que sont les patriarcats et les matriarcats, mais à des individus isolés. C’est la raison pour laquelle, par exemple, Apple s’étant aperçu que les homosexuels achètent deux fois plus d’ordinateurs que les familles, ces grandes entreprises ont financé le LGBT au nom du principe suivant qui est inscrit dans leur stratégie en toutes lettres : double income, no kids. Double revenus, pas d’enfant. On est passé petit à petit d’une société organique de voisinage affectif à une dissociété pavillonnaire d’atomes consommateurs. C’est la caractéristique même d’une société totalitaire, une société dans laquelle, notamment, l’économique et le politique sont confondus.Tel est le projet du groupe de Bilderberg et de la Trilatérale : imposer une nouvelle société dans laquelle le politique est englouti par l’économique. Ce sont des firmes anationales qui aujourd’hui commandent la vie politique du monde en imposant un marché planétaire. C’est la raison pour laquelle les grands dirigeants de l’Amérique et de l’Europe se sont mis d’accord pour la création d’un marché transatlantique qui va définitivement mettre l’Europe à la remorque des États-Unis par une sorte d’OTAN économique. L’Europe n’aura plus aucune autonomie. Elle n’a déjà plus d’autonomie politique et monétaire, elle n’aura plus d’autonomie économique. C’est la fin de notre civilisation.La terre saccagée par le remembrement, les villes défigurées par la « mixité sociale »

J’ai été très touchée par votre dénonciation du remembrement : vous racontez une sorte de viol de la terre. Pensez-vous que la France puisse redevenir ce jardin qu’elle était ?

La France a été défigurée deux fois. D’abord par le grand déménagement, la dékoulakisation des campagnes, mise en œuvre par le syndicat agricole FNSEA et par les autorités de Bruxelles, le plan Mansholt, et ensuite, par la politique de la ville, qui a érigé des cages à lapins partout pour pouvoir installer ce qu’on a appelé la « mixité sociale », qui est un autre nom de l’immigration forcée. En réalité on a fait des villes laides après avoir saccagé nos campagnes. Elles se meurent, il n’y a plus de paysans, plus d’artisans, plus de commerçants – on a éradiqué l’indépendance d’esprit – et en même temps on a des villes irrespirables où on va bientôt imposer la respiration alternée… Voilà cette France invivable qui a été fabriquée par des énarques : des adeptes de la cité sans frontières qui n’ont plus aucun bon sens sur la vie et sur la vie commune. L’homme contemporain a brisé le pacte nuptial de l’homme et de la terre. Pourtant, entre ciel et terre, nous avons besoin d’humus et de lumière.

C’était au fond le projet de Pol Pot…

C’était le projet de Pol Pot. Quand j’étais à l’ENA, la moitié de ma promotion regardait tous ces révolutionnaires – Castro, Mao, Pol Pot – avec les yeux de Chimène.

Vous écrivez, c’est le titre de votre livre, Le moment est venu : le moment d’une « résistance », dit votre dernière phrase. Pour vous, est-ce une fin ou un début, et si c’est un début, lequel ?

« Le moment est venu » car aujourd’hui, ma parole est libre. Je ne cherche pas un picotin de popularité. Je pense que je serai mieux entendu, parce que ce qui était inaudible est aujourd’hui devenu assourdissant. Quand je disais : « Attention, n’abattez pas les États, les nations, les frontières, ne livrez pas la France au mondialisme… », on disait de moi : « Il est excessif. » Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’avec d’autres, nous avions raison. Mais c’est un grand tort d’avoir raison trop tôt…J’ai fait de la politique parce que j’avais la passion de la France. J’ai arrêté la politique au sens politicien du terme ; j’ai gardé la passion de la France. Il y a plusieurs manières d’exprimer des urgences qu’on a sous les yeux. Je pense aujourd’hui que la parole métapolitique, on le voit tous les jours, est plus écoutée parce que plus authentique, parce qu’elle va à la source des problèmes – que la parole politique électorale, qui est complètement discréditée. Aller chercher un picotin de popularité, non. J’ai passé l’âge, et je serais incapable de me rompre à cet exercice de mensonge et de show-business.En revanche, ma passion de la France demeure intacte, et je me réserve bien évidemment, puisque j’ai déjà commencé, le droit de parler et de reparler, d’écrire et de publier, et de crier. Pas pour moi, pas pour me soulager, mais pour contribuer avec d’autres à créer, à faire émerger des générations de dissidents.

On a l’exemple de l’ex-Union soviétique qui montre que c’est une solution qui fonctionne…

Exactement. Là-bas les dissidents étaient minoritaires, ils étaient traqués, ils se promenaient avec des samizdats sous le manteau, on les appelait les refuzniks, on les a envoyés au Goulag… Je comprends mieux aujourd’hui la phrase de Soljenitsyne : « Ils vont passer à l’Ouest » Aujourd’hui, nous sommes dans une inversion historique, me semble-t-il : le monde soumis du temps du Rideau de Fer était le monde soviétique ; le monde libre, c’était l’OTAN. Aujourd’hui, c’est l’inverse : le monde soumis à la marchandisation du monde, au multiculturalisme, etc., par l’Amérique, c’est l’OTAN, et le monde libre, on le voit bien en ce moment avec le Moyen Orient, c’est Poutine. C’est la Russie qui ne veut pas des FEMEN, qui ne veut ni du multiculturalisme ni d’une économie spéculative, qui ne veut pas de monde unipolaire, sous domination américaine, mais d’un monde multipolaire où chacun se retrouve pour l’harmonie et la paix du monde, et qui veut pouvoir restaurer ses valeurs civiques, patriotiques, spirituelles.

Dans ce monde où nous sommes tous sommés de nous mobiliser contre le « réchauffement climatique », et de tous parler et agir d’une même voix, quelle est la vraie urgence ?

Il y a ceux qui se battent contre le « réchauffement climatique », et ceux qui se battent contre le refroidissement des âmes – ce sont eux qui ont raison.    

Propos recueillispar Jeanne Smits

Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 352 pages.

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