« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

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Belkacem : Le latin sans fleurs ni couronnes

L’enseignement du latin n’est pas en danger, il est déjà quasi mort malgré la mobilisation de ces derniers mois. Pour autant il faut se lancer dans cette bataille les yeux ouverts. Comme l’apprentissage de la lecture, celui du latin dépendra du courage de ceux qui osent « faire ventral » : sortir du système de l’Éducation nationale pour prendre les chemins de traverse – ceux de la liberté pédagogique.

Le jeune ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a suscité une levée de boucliers au printemps en annonçant que le plan socialiste de réforme du collège entendait diluer le latin dans les « enseignements pratiques interdisciplinaires » (EPI) sous le module « Langues et cultures de l’Antiquité ». Ces EPI sont de véritables gadgets destinés à faire travailler les élèves autrement. « Ils permettront aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets. » L’idée est de développer « l’expression orale, l’esprit créatif et la participation ».L’esprit créatif pour apprendre « rosa, rosa, rosam » ? On demande à voir… Mme Belkacem a beau assurer que le module « Langue et cultures de l’Antiquité » pourra servir à ceux qui dans le système actuel, auraient pris le latin en option de la 5e à la 3e, la manière de travailler sera bouleversée. Et le latin sera ravalé au niveau des autres thèmes proposés : développement durable ; sciences et société ; corps, santé et sécurité ; information, communication, citoyenneté ; culture et création artistiques ; monde économique et professionnel ; langues et cultures régionales et étrangères.Dans tous les cas, les EPI mettent en jeu des enseignants de disciplines différentes et sont censés aboutir à la réalisation de projets, exposés, magazines, à la tenue de débats en classe, où les élèves ne font que grappiller des connaissances. L’élève « créateur de son propre savoir » est ainsi définitivement coupé de l’apprentissage systématique, avec l’acquisition de connaissances précises. Le triomphe de la pédagogie globale !

Najat Vallaud-Belkacem, préposée au hallali

La fronde des professeurs de latin et de grec a poussé le ministère à rétablir dans l’urgence des « enseignements complémentaires » de latin et de grec, remplaçant partiellement les actuelles options. Mais sans cadre fixe, sans horaires fixes, sans programme, sans garantie de continuité, à côté d’un EPI de dilettantes que les établissements pourront, ou non, proposer. Dans la pratique, les conditions et les complications sont telles qu’on ne voit pas comment l’enseignement classique pourra être maintenu dans les écoles qui suivent les programmes officiels, même si la belle Najat susurre le contraire.On comprend mieux les véritables objectifs en prenant connaissance d’une nouvelle note d’information de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) de l’Éducation nationale, parue fin octobre. La DEPP, après analyse des données sur les enfants qui choisissent le latin au collège, le présentent comme une option stratégique, un « marqueur social », une matière pour les meilleurs. « L’étude du latin est plus fréquente chez les enfants issus de milieu aisé », constate la note signée par Paul-Olivier Gasq et Mustapha Touahir. Elle mobilise « 44 % des enfants d’enseignants, 39 % des enfants de cadres, mais seulement 20 % des enfants d’employés et 15 % des enfants d’ouvriers ». Les plus favorisés qui ont déjà de meilleurs résultats scolaires les voient renforcés, en moyenne, s’ils choisissent le latin.

Le latin, une matière « élitiste » ?

Le choix « stratégique » du latin au collège correspondrait notamment à la volonté des parents d’obtenir l’inscription de leur progéniture dans de meilleurs établissements. Il faut croire que cela fonctionne, puisque le jeune de milieu aisé qui fait du latin en 5e a bien plus de chances non seulement de passer un bac général mais aussi d’être inscrit en Terminale S. Etant donné que 80 % des latinistes du collège ne reprennent pas l’option au lycée, la note de la DEPP en conclut que ce n’est pas par intérêt pour la matière que le latin est choisi par environ un cinquième des élèves en 5e, mais par volonté de s’assurer un parcours privilégié.« Elitiste » : la DEPP ne lâche pas le mot mais son insistance sur les milieux « favorisés » et « défavorisés » dit tout. Si on traque le latin, c’est parce qu’on y voit un outil au service des riches.Et si on prétend le « démocratiser » – Najat Vallaud-Belkacem n’a-t-elle pas assuré que désormais tout le monde pourrait faire du latin grâce aux EPI ? – il n’est pas question pour autant d’apporter aux plus « défavorisés » une instruction réellement formatrice.En décidant de « globaliser » l’enseignement du latin dans des parcours qui privilégient l’enseignement non linguistique, l’Education nationale ne fait qu’entretenir le flou qui est déjà à l’œuvre dans la plupart des matières, et qui passe à côté de la progression pas à pas, empêchant le développement de l’intelligence analytique et du raisonnement. On sait généralement les dégâts que provoque l’apprentissage global de la lecture. Mais cet apprentissage global est aussi à l’ordre du jour dans la plupart des autres matières : par thèmes, sans suite cohérente, sans énoncé clair des règles, sans explications, en privilégiant l’apprentissage visuel et le « par cœur » incompris. Pour le latin, c’est le cas depuis des années.

Entrer en résistance !

Les derniers manuels scolaires de latin qui forment réellement les enfants à la connaissance de cette langue éminemment logique et grammaticalement riche et claire datent des années 1970. C’est dire ! Peu à peu, les programmes officiels et les manuels qui leur correspondent ont mis en place une sorte d’apprentissage « fonctionnel » – comme on parle de la grammaire fonctionnelle – qui part de l’observation, de la comparaison et de l’analogie sans offrir à l’élève les outils de base que sont la conjugaison, l’apprentissage systématique des déclinaisons, ou l’analyse grammaticale. Certains professeurs les réintroduisent en catimini : dans le nouveau cadre des enseignements « transversaux », ils seront encore moins libres.Les cours se sont certes enrichis d’une belle iconographie et d’éléments de civilisation et d’histoire de l’Antiquité, mais c’est au prix d’une perte spectaculaire de la connaissance de la langue elle-même. Aujourd’hui, le jeune latiniste débutant est dès son premier cours plongé dans une masse d’informations à laquelle il ne comprend rien : un texte latin comportant des tournures complexes et un vocabulaire assez important mis en regard de sa traduction française. Le travail consiste alors à collationner les deux textes et à trouver les correspondances… Pour beaucoup, l’apprentissage du latin consistera alors le plus souvent en une avancée dans le brouillard.Les directeurs de séminaires traditionnels sont d’ailleurs formels : les jeunes hommes exposés à ce type de cours arrivent en première année – même s’ils ont fait du latin de la 5e à la Terminale – en ne sachant à peu près rien. Dans les hypokhâgnes et autres « Prépa-Chartes » ce sont le plus souvent les jeunes issus d’écoles hors contrat qui tiennent le haut du pavé, tant que les autres élèves – n’auront pas rattrapé le niveau par un apprentissage plus efficace. Mais pourquoi s’inquiéter ?, dira-t-on. Le latin rapporte beaucoup de points d’option au baccalauréat, avec un bon coefficient. L’examen final est bien davantage une épreuve de culture générale et de mémoire qu’une évaluation de réelles compétences : l’élève présente une vingtaine de textes de vingt lignes ; l’examinateur en choisit un dont le candidat traduit oralement le quart avant d’en faire un commentaire général et de se voir soumettre enfin une petite version de trois lignes en lien avec le thème choisi.

Une longue histoire de haine du latin

Mais parce que le latin est au cœur de notre histoire, de notre civilisation, de notre manière de penser, de juger, d’être. C’est un enjeu crucial : le latiniste comprend que les choses ne changent guère, que les hommes de l’Antiquité n’étaient pas moins intelligents que ceux d’aujourd’hui… Il accède à l’universel, à une meilleure connaissance de l’homme et de sa spécificité, à la conscience de l’existence du vrai, du beau, du bon qui ne changent pas au gré des époques.L’académicienne Jacqueline de Romilly, qui s’est tant battue pour la sauvegarde des langues anciennes, le disait encore dans son dernier entretien publié peu après sa mort par Le Figaro : « Si forte que soit la tentation de l’amnésie culturelle, tout esprit honnête comprendra pourtant que le latin et le grec ont un avantage considérable à être des langues mortes, car elles nous obligent, par une tension de l’esprit sur les mots, la syntaxe, la construction du raisonnement, à remplacer notre volubilité et nos à-peu-près par la rigueur. (…) Cela étant, la précision n’est pas tout. Elle n’est qu’un chemin de connaissance, la véritable dimension des langues anciennes se déployant avec les idées et les mythes. »Le latin est encore la langue de l’Église, assurant par sa précision et sa fixité la transmission de la vérité non tronquée par les glissements de sens.L’étudier est un privilège. On aboutit à en écarter précisément les élèves des milieux les plus pauvres. Parce qu’on ne veut pas que leur intelligence soit structurée ?

Jeanne Smits

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