« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

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Hubert Champrun

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Refonder la place du religieux

Dans Situation de la France, Pierre Manent établit les véritables conditions d’une réflexion sur l’islam. Tout pourrait se résumer à une formule assez simple : considérer ce qui existe. Oui, il y a des musulmans en France. Non, la république française n’est pas neutre car elle est inscrite dans une histoire, et une histoire chrétienne. Oui, certains citoyens se définissent par leur foi, et il est incohérent et injuste d’exiger qu’ils soient citoyens en niant leur foi. Oui, le fait religieux s’impose, au delà de toute glose. Etc. Et surtout : oui, nous sommes en guerre, et nous devons nous défendre.Ces faits sont loin d’être acquis pour les politiques, qui considèrent avec agacement ce fait religieux qui n’en finit pas de surgir, de croitre, de proliférer alors qu’il est censé être archaïque. Manent, qui avance pas-à-pas, en écartant le superflu, pose plusieurs analyses très fines, dont celle de la surprenante place de l’islam dans le débat, ou la fausse piste d’un nouveau 1905 (« Cette perspective de neutralisation, qui consisterait à faire disparaître la religion comme chose sociale et spirituelle en transformant la règle objective des mœurs en droits subjectifs de l’individu, est la transposition imaginaire d’une expérience ancienne mal interprétée à une situation nouvelle mal comprise. »), qui fait l’impasse sur le fait que l’Église catholique s’est développée à l’intérieur de la société française, qui a conservé structurellement des mœurs chrétiennes, quand l’islam actuel est réellement exogène ; ou enfin les effets pervers de la chimère européenne : « la conviction que les “vraies solutions” ne pouvaient être trouvées ou mises en œuvre qu’“au niveau européen” a entraîné le report systématique des décisions les plus urgentes et en général, de la part de la classe dirigeante, une absence d’intérêt à la fois sotte et cruelle pour la vie réelle des habitants de ce pays et pour les besoins inscrits dans la nature et dans l’histoire. »Mais surtout, il propose, de façon surprenante, de céder à l’islam : « Je soutiens donc que notre régime doit céder, et accepter franchement leur mœurs puisque les musulmans sont nos concitoyens ». La proposition est hardie. Elle prend toute sa force dans le fait que la laïcité brandie est un leurre puisqu’elle elle n’est pas respectée, sur le terrain, au quotidien, même si les politiques détournent le regard. Partant de ce constat, Manent propose d’encadrer les mœurs musulmanes, en posant des limites (pas de polygamie – pourtant en passe de se répandre chez les occidentaux “à la pointe du progrès” –, pas de voile intégral) et en exigeant une totale liberté d’expression, pour purger définitivement le débat de la notion intimidante et perverse d’islamophobie.Cette refondation a au moins un triple mérite : considérer ce qui est plutôt qu’un fantôme médiatique, permettre à l’État de rétablir une véritable autorité plutôt que de donner le spectacle constant de son abdication, et accorder une place cohérente à un islam qu’on prétend accepter tout en le niant, alors que la majorité de ses fidèles sont prêts eux-mêmes à tous les accommodements. Mais Manent va en fait plus loin : il aborde la question du régime et du peuple, c’est-à-dire de l’indépendance qui serait commandée aux musulmans de France vis-à-vis des pays musulmans étrangers. Voilà une mesure qui n’a rien d’un dhimmi (comme on a pu lui en faire le reproche caricatural). Tout tend, chez Manent, à faire du musulman un citoyen à part entière qui peut éprouver librement son attachement à la communauté : si elle lui donne sa religion, il se donnera à la France. Et c’est aux catholiques, qui savent s’examiner et qui durent s’adapter à la nation française, que Manent assigne ce rôle pédagogique, ultime “mesure”, ultime défi. Nous voilà mis face à des prochains indiscutables dont en fait personne ne veut. L’aventure est plus que tentante, et Manent en signale tous les écueils possibles. Mais les fruits espérés passent de loin ce que les fleurs de discorde actuelles nous promettent.    

Hubert Champrun

Pierre Manent, Situation de la France, DDB, 2015, 174 pages, 15,90 €.

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