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Abbé de Tanoüarn

Rédacteur en chef

Dialogue avec Paul-Marie Coûteaux

Monde&Vie a commencé avec Marion Le Pen une grande enquête sur le retour du patriotisme. Cette fois nous avons demandé son avis à Paul-Marie Coûteaux, fondateur du SIEL et importateur en France du terme « souverainisme », comme il l’explique ici. Inutile de dire que la pédagogie qu’il nous propose est plus précise que celle que tente de nous imposer l’Éducation nationale… Il faut méditer sa leçon d’identité.

Avez-vous été surpris de voir fleurir les drapeaux français, au départ sans aucune consigne des politiques, après l’attentat du 13 novembre ? Est-ce la contre révolution spontanée dont parlait Maurras ? Comment caractériseriez-vous ce retour du patriotisme ?

Surpris, oui et non ! Oui, parce que cette réaction contrastait avec ce qu’avait montré en janvier la « Charlimania », cette effervescence il est vrai pré-fabriquée par les médias, qui ont aussitôt orienté l’émotion populaire vers une sorte d’ « esprit Charlie » qui est, au coeur de la boboïtude, la weltanshauung de la partie dominante de la bourgeoisie. Cette fois, Charlie ne faisait plus écran. Il y avait la réalité brute : des Français tués au hasard en ce qu’ils étaient Français. L’apparition spontanée de drapeaux tricolores m’a alors d’autant moins surpris qu’elle venait corroborer une observation que je fais souvent ces temps-ci : autant, mises à part les parenthèses que furent les référendums sur Maestricht en 1992 et sur la Constitution européenne en 2005, la défense de la nation a du mal à passer quand elle est formulée de façon théorique, prenant frontalement une idéologie dominante qui est devenue carrément anti-nationale, autant le reflexe national revient vite dans des situations pratiques : par exemple, lors de la crise de la vache folle, la réponse fut le label « viande bovine française », assorti des trois couleurs ; de même, on vit fleurir des drapeaux tricolores en 2013 lors des grandes manifestations contre ce que j’appelle « le mariage génétiquement modifié » : on savait bien que les théories du gender et ses dérivés venaient du monde anglo-saxon-protestant et contrevenaient aux bases de notre civilisation, latinité, chrétienté et loi naturelle.  En résumé, je dirais que ces drapeaux n’ont fait que confirmer une intuition que je nourrissais depuis quelques temps : autant il est difficile de poser la question de la nation en termes politiques (le “nationalisme” et ses équivoques ) ou juridiques (le “souverainisme” et ses subtilités), autant cette question de la nation se pose immédiatement dans des situations concrètes. Puisque vous citez Maurras, je dirais avec un sourire que ce retour inattendu est pour moi, depuis quelques années, comme fut jadis la Résistance, une « divine surprise »…

Pensez-vous que nous en avons fini avec les ambiguïtés de l’esprit Charlie ? L’esprit du 13 novembre est-il différent de l’esprit du 7 janvier ? Que diriez-vous de l’année 2015 qui vient de s’écouler ?

Janvier et novembre ne furent pas seulement différents mais à bien des égards contraires : devant la violence à plus large échelle de novembre, il n’y a eu que l’émotion brute, une peur salutaire qui serre les rangs, un retour à ce qui nous constitue : la nation ; contre elle, l’idéologie, prise de court, n’a rien trouvé à quoi s’agripper pour travailler en sens inverse. « L’esprit Charlie », que tout le Système (Président de la République, Gouvernement, grands médias) tenta de réhabiliter en reprenant la main lors de la commémoration de janvier, avait réussi à détacher l’esprit public du vrai sujet, l’attaque islamiste : on le fit dériver vers l’affirmation « jesuischarlie » qui entendait lier la France entière, en son essence même (« je suis »), à l’irréligion militante, ce qui était évidemment un mensonge – grave du reste – et ne pouvait tenir longtemps sinon par l’effet invasif du martèlement gouvernemental et médiatique. Le Système institua un autre mensonge, tout aussi grossier : faire croire que l’attaque de Charlie visait la liberté d’expression, vaste blague puisque les amis de Charlie sont précisément ceux qui la bafouent tous les jours, en écartant des grands médias, ou en envoyant devant les tribunaux quiconque ose nommer la menace. Cette blague réussit en partie, mais s’effondra en novembre, le Président en venant à nommer la guerre et même à la faire, plus ou moins. Je gage qu’il n’en sera plus question du tout à mesure que le péril se précisera : de ce point de vue, on peut dire que l’année 2015 fut pédagogique !

On vous a accusé parfois de vous cantonner à un souverainisme décharné, à une vision purement institutionnelle de la politique… Ce retour du patriotisme signifie-t-il une nouvelle prise de conscience populaire autour de l’identité ?

Je connais l’accusation : au risque de vous étonner, je dirai qu’elle est assez fondée. Ayant longtemps travaillé, à Matignon, au service de la langue française, ayant ensuite vécu en Amérique du Nord, je suis allé souvent au Québec, si souvent que le mot souverainisme, courant là-bas, m’est pour ainsi dire « entré dans la tête ». Revenu en France en 1993, j’ai pensé qu’il était utile de l’implanter dans notre vocabulaire politique, d’abord parce qu’il correspondait bien aux termes de notre opposition aux traités organisant la supra-nationalité européenne, tel Maestricht, ensuite parce qu’il évitait que nos adversaires nous nommassent de travers en nous appelant “nationalistes” (mot si mal compris qu’il en vient, comme souvent les mots politiques, à dire le contraire de ce qu’il signifie), ou « anti-européens », ce que nous n’étions pas du tout, au contraire puisque nous entendions défendre l’Europe face à une entreprise qui s’apparentait et s’apparente toujours à un vaste complot contre l’Europe. Le mot est passé dans la langue, un peu par mes livres, beaucoup par le puissant écho que lui ont donné des hommes politiques dont j’ai souvent préparé les discours, Séguin, Pasqua, Villiers. Mais j’ai ensuite fait une erreur : après la victoire du Non en 2005, j’aurais dû empêcher que le mot ne reste cantonné aux aspects institutionnels qu’il avait pris dans le débat québecois puis le débat sur l’UE : il fallait insister, outre sur la souveraineté extérieure (de la nation), et la souveraineté intérieure (de l’État), sur la troisième et la plus brûlante, la souveraineté culturelle, en somme l’identité, qui est bien sûr un élément central de la souveraineté. Certes, nous avions senti la nécessité d’en arriver au thème identitaire: Philippe de Villers est parti sur l’islamisation de la France avec un livre-choc, Les Mosquées de Roissy (2006), qui s’est révélé prophétique, mais qui n’a pas assez fait le lien théorique avec la Souveraineté. De mon coté, j’ai écrit un livre centrant l’identité sur la langue ; mais ce livre, Être et parler Français (2006), n’eut pas sur le mouvement souverainiste l’effet que j’espérais. D’une part, l’élément religieux de la civilisation s’est révélé plus chaud, plus populaire, que l’élément linguistique, non moins grave mais plus caché. D’autre part, les “souverainistes”, n’ont pas pris le tournant identitaire, ressassant les thèmes du combat anti-maestricht et dédaignant, comme dit avec mépris l’un d’eux, Florian Philippot, « les questions de société » ; or, les enjeux se sont étendus à grande vitesse en vingt ans : les questions de civilisation sont devenues centrales. Tout mon travail est de montrer qu’elles ressortent de la thématique de la souveraineté.

On parle d’une droitisation de la société française. Mais on a l’impression que les structures politiques sont en retard sur ce mouvement… « Il y a un boulevard à droite » continue à dire Patrick Buisson. Que préconisez-vous ?  

Buisson a raison. Cette fois, il ne faut pas faire d’erreur stratégique, car cela coûte cher – j’ai pu le vérifier… Sans mettre de côté les souverainetés plus juridiques, celles des nations et des États, il faut foncer sur la souveraineté culturelle, autrement dit l’identité, et nous affirmer tranquillement « identitaires ». Il faudrait même faire de « l’identité de la France » le nerf et l’élément organisateur d’une droite qui manque de l’une et de l’autre. Pour cela, oser deux observations : d’abord, contrairement à ce que racontent les esprits simples, impressionnés par l’actuelle déréliction de la droite, (il est vrai abyssale), la droite et la gauche continuent à structurer le débat politique, d’autant que ce clivage est inscrit dans nos institutions : tout dépend en France du second tour des présidentielles, où seuls deux candidats restent en lice – c’est ce que Marine le Pen refuse de comprendre, et ce fut d’ailleurs l’une des causes de notre long conflit. Ensuite, observer que la gauche reste soudée, elle, sur la négation identitaire : il fallait voir comment elle s’était liguée comme un seul homme quand Sarkozy, et mon ami Guaino, ont tenté de lancer un « débat national » sur ce sujet… En face, la droite, qui était alors restée bouche bée, devrait à présent se réorganiser sur le paradigme identitaire : c’est ce que ma petite équipe issue du SIEL fait en ce moment en relançant la revue trimestrielle Les Cahiers de l’Indépendance dont nous venons de publier le numéro 14 avec, de manière explicite, une enseigne “Repenser la droite pour Relancer la France”, et un dossier : “Transmettre ou Disparaître”.Nous parions que la droite peut retrouver ses boussoles intellectuelles et s’unir sur quelques paradigmes (c’est la phrase de Péguy : « Tout ce qui élève unit »), et dès lors, marcher sur ce boulevard en effet grand ouvert. Restera à trouver une incarnation : viendra-t-elle du Système, par exemple de Sarkozy ? D’un homme neuf qui surgira et qui reste inconnu ? Ou d’un homme qui est l’un et l’autre : je pense à Nicolas Dupont-Aignan, à condition qu’il accepte de se dire tranquillement de droite, qu’il prenne le virage identitaire – et sorte un peu ses tripes…

Peut-on vraiment déchoir quiconque de sa nationalité ? Cette déchéance de la nationalité, n’est-ce pas un concept de gauche ?

Pas d’accord : la déchéance de nationalité n’est ni de droite ni de gauche mais de simple bon sens : à un individu qui a déjà une nationalité, on n’accorde pas la sienne dès lors qu’il entend ouvertement la torpiller ! Je ne vois même pas là un débat. Le débat serait la double-nationalité : celle-ci est typiquement de gauche, puisque la gauche veut dépasser ou dissoudre nations, nationalités et identités. Pour les mêmes raisons, la droite, en ce qu’elle est ou devrait être identitaire, se doit de la refuser. On ne peut appartenir à deux civilisations, (au sens en tout cas de l’appartenance et de l’essence, et pas au sens de la connaissance ou de l’existence, où les attachements sont multiples…) ; on ne peut avoir ou « être » deux religions, ni avoir ni « être » deux langues, au sens où les langues sont des organisatrices de l’être, comme on ne peut avoir deux mères – c’est à juste titre que l’on parle de « langue maternelle » qui est la langue que l’enfant entend dans le ventre de sa mère…Si vous me demandez une priorité dans l’ordre de l’action, je désignerais les piliers de l’identité : l’art de vivre, les principes politiques et moraux, la conscience de l’histoire, les paysages, la nature, la foi, et la langue – qui est en France l’autre sacré, un « sacré laïc » – ce pourquoi on appelle « immortels » les membres de l’Académie. Commençons par « être et parler français » !    

Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

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