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Monde & Vie

Secrétariat Monde & Vie

La réclamation lancinante des Français ne trouve aucun représentant crédible

Bruno Larebière est l’un des grands journalistes politiques de droite aujourd’hui. Il a dirigé la rédaction de Minute et du Choc du Mois. Il est actuellement l’un des meilleurs connaisseurs de l’extrême droite en France, sans pour autant que cette qualité limite ses analyses. Alors que les malentendus se multiplient entre le peuple français et la classe politique toutes tendances confondues, il était important de le consulter, pour qu’il nous donne son expertise, sa vision du piège politique qui est en train de se refermer sur les Français. Certains le trouveront pessimiste. Mais, alors que nous sommes à un an de la Présidentielle nous ne devons pas cacher la situation électorale dans laquelle se trouve notre pays, car il est encore temps d’en sortir… et de foncer sur le boulevard à droite !….

Monde&Vie : Bruno Larebière, vous êtes un observateur attentif de la vie politique française depuis trente ans. Nous sommes déjà en pleine campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2017. N’est-il pas frappant de voir que, pour la première fois depuis très longtemps, les enjeux d’une présidentielle sont clairement pour tout le monde des enjeux de droite ?

Bruno Larebière : Sur le papier, oui ; dans les faits, c’est autre chose… Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, François Hollande avait déclaré dans Le Nouvel Obs : « La France n’est pas majoritairement à gauche. » Son entretien avait été publié le 3 mai. Le 6 mai, il était élu président de la République. Mais il avait raison : la France n’était pas à gauche !Alors, oui, la France s’est droitisée. Oui, elle a subi un « mouvement dextrogyre » pour reprendre la formule du politologue Guillaume Bernard. Oui, les débats intellectuels tournent autour de thématiques de droite, comme l’identité et l’autorité, et les aspirations des Français ont pris un net virage droitier. Oui, la gauche issue de Mai 68 a perdu le combat des idées – ce qui ne veut pas dire que la droite l’ait gagné. Oui, les élections intermédiaires ont placé la droite en position de force, dans un rapport proche de 60/40, mais ce différentiel droite/gauche est principalement dû à l’abstention de l’électorat de gauche, dont je prends le pari qu’il va revenir aux urnes pour la présidentielle (et, surtout, le déterminant du vote, ce qui conduit l’électeur à choisir un candidat plutôt qu’un autre, n’est pas le même pour une présidentielle que lors des autres scrutins, de sorte que toute extrapolation est impossible).Une fois qu’on a dit cela, et qu’on peut penser que les discours des présidentiables vont intégrer les « enjeux de droite », on se retrouve face à cet incroyable paradoxe qui est, pour parler en termes commerciaux, qu’on cherche l’offre pour répondre à la demande et qu’on ne la trouve pas ! À tel point qu’on en est déjà, dans beaucoup de cercles de droite, à s’en remettre à la présidentielle… de 2022 pour, enfin, prendre le pouvoir.

Le Front national s’est réuni en séminaire il y a quinze jours. Quels étaient les objectifs de Marine Le Pen, organisant ce colloque à huis clos ? Ne peut-on pas dire qu’elle est partie de problématiques internes à son parti plutôt que d’une analyse de la situation politique française ?

Marine Le Pen a organisé ce séminaire sous la pression d’une partie des cadres du FN (dont le vice-président Louis Aliot, qui l’avait réclamé), afin de désamorcer la grogne interne après que les élections régionales de décembre dernier avaient montré, une fois de plus, que le FN échouait à rallier une majorité au second tour. Louis Aliot – comme Marion Maréchal-Le Pen et tant d’autres – a pu constater sur le terrain le décalage entre les aspirations des électeurs de droite et le discours frontiste. Eux et une majorité de cadres du FN réclamaient une prise en compte de leurs demandes, ce qui exige certains « ajustements » du programme du FN.Or Marine Le Pen ne les a pas entendus. Florian Philippot, qui s’était démultiplié dans les médias la semaine précédant le séminaire, allant jusqu’à mettre – une fois de plus – sa démission dans la balance, a obtenu gain de cause : le FN ne changera rien, sauf à la marge. De sorte qu’il s’est produit cet événement tout à fait extraordinaire : alors que les participants des séminaires d’entreprise en ressortent habituellement hyper-motivés, et cela quels qu’aient été les échanges, les « séminaristes » du FN, qui sont les principaux cadres du parti, en sont sortis désabusés et découragés.

Pourriez-vous définir ce qu’il faut bien appeler la « ligne Marine » après ce séminaire ?

Elle est la même qu’avant, avec juste une dose d’opportunisme – ces signes qu’il va bien falloir donner à l’électorat de droite – qui ne remet pas en cause l’ensemble de l’édifice. On peut même dire que les apports qui commencent à apparaître en prévision de l’élection présidentielle, comme la création d’un collectif Croissance Bleu Marine, se superposent au pré-existant, de sorte qu’à court terme en résultera un effet inverse à celui recherché, à savoir une impression d’incohérence.L’historien Nicolas Lebourg, qui est un des meilleurs spécialistes du FN, parle de « souverainisme intégral », ce qui décrit bien le logiciel qui est à l’œuvre, même si, au-delà de la volonté de redonner à la France tous les attributs de sa souveraineté, je parlerais plutôt, concernant le modèle de société qui serait instauré, de « républicanisme intégral », voire, au vu des mesures proposées, de « national étatisme ».Le « national étatisme » du Front national est exprimé jusqu’à la caricature dans son programme économique, basé, je le cite avec les majuscules d’origine, sur la « mise en place d’une Planification Stratégique de la Réindustrialisation directement rattachée au Premier ministre, associant établissements universitaires et grandes écoles, filières industrielles et représentants de l’État ». Dans le cadre de cette « planification stratégique » seront créés des « fonds d’investissement stratégiques » qui seront financés par une contribution des « 50 plus fortes capitalisations boursières, fleurons des entreprises françaises », qui devront y affecter « 15 % de leurs résultats nets ».À cet égard, s’il s’agit des 50 plus fortes capitalisations du CAC 40, il faudrait peut-être que quelqu’un dise à Marine Le Pen qu’il y a belle lurette que la plupart ne sont plus des entreprises à capitaux français et que près de la moitié du capital des entreprises cotées au CAC 40 est détenu par des capitaux étrangers ! Cette « planification stratégique », en l’état des propositions avancées par le FN, implique donc une nationalisation massive des grands groupes industriels, avec toutes les conséquences que je vous laisse imaginer.Dans le même esprit, lors de son passage sur TF1 le 8 février dernier dont on n’a retenu que sa déclaration de candidature pour l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen a expliqué que la France devait retrouver sa souveraineté dans tous les domaines, car, en l’état actuel, alors qu’elle souhaite que les PME et les TPE disposent de financements bancaires, « l’Union européenne […] m’interdit de donner des ordres aux banques ». Je ne suis pas sûr que cette volonté de « donner des ordres aux banques » soit favorablement accueillie par l’électorat de droite qui, sans être forcément ultra-libéral, n’a pas pour autant envie de voir notre économie franchir un palier supplémentaire dans l’étatisation…Ce « national étatisme » est patent dans toutes les strates du programme du FN, qui est basé sur le principe que l’État, présenté comme protecteur, peut tout, pire : que l’État doit tout faire, à l’exception de ce qui ne l’intéresse pas, à l’exception du peu qui aura la chance d’échapper à son contrôle « stratégique » du fait, peut-être, qu’il n’a rien que de vulgaire et de subalterne. On est à l’opposé du principe de subsidiarité.Cela se manifeste également dans l’organisation territoriale de la France. L’analyse du FN est que la France se déconstruit par le haut, sous la pression de l’Union européenne, et par le bas, sous celle de la décentralisation. La solution : supprimer les conseillers régionaux élus, renforcer les départements et renforcer les pouvoirs des préfets selon des modalités qui ne sont pas précisées mais dont on peut penser qu’elles pourraient aller jusqu’à leur redonner le pouvoir exécutif, supprimé en 1982.La « ligne Marine », c’est donc la « ligne Philippot », un national étatisme triomphant. Il n’est tempéré, de façon cosmétique et circonstancielle, que par la nécessité de devoir attirer les électeurs de droite, qui sont évidemment rebutés par un tel interventionnisme de l’État.

« Il y a un boulevard à droite », martèle Patrick Buisson. Ce boulevard est-il obligatoirement celui de la sortie de l’euro ?

La sortie de la zone euro n’est pas un marqueur propre à la droite. Ce ne devrait même pas être décrit comme un marqueur politique. La sortie de la zone euro n’est qu’un choix technique, dont l’importance politique a été exagérée.En revanche, ce qui constitue un choix politique et qui est clairement exprimé par le Front national, c’est la sortie de l’Union européenne. Pour Marine Le Pen, l’UE n’est rien d’autre qu’« un instrument au service d’une idéologie ultra-libérale mondialiste et des intérêts du secteur financier » ; elle est le « cheval de Troie de la mondialisation ultralibérale ». On ne trouve pas, dans le programme du FN, d’autre réflexion sur l’Union européenne, ni même sur l’Europe qui n’est pas conçue comme un espace de civilisation. Dans le discours du FN, il n’est de civilisation que française. Dans tous les documents du FN, publics ou internes, l’UE est présentée comme étant « définitivement irréformable » et il est répété que ses « dogmes » sont à la source de tous les maux.Le « boulevard à droite » est celui qu’avait emprunté Nicolas Sarkozy pour l’élection présidentielle de 2007, lorsqu’il avait mené une campagne de rupture marquée notamment par sa volonté d’en finir avec l’idéologie de Mai 68. Malheureusement pour lui, il a été élu et ses engagements n’ont pas été tenus. Dix ans plus tard, le « boulevard à droite » est sur une ligne nationale, conservatrice et libérale : affirmation de l’autorité de l’État français, défense des valeurs traditionnelles, restauration des libertés économiques. Or si Marine Le Pen cherche à incarner le premier point, elle est pour le moins timorée sur le deuxième et à l’opposé sur le troisième.Une réclamation, lancinante, des Français ne trouve aucun représentant crédible. C’est celle que résume cette phrase de Georges Pompidou, qui était alors Premier ministre. Un jour de 1966, il a lancé à un de ses collaborateurs qui venait lui présenter des décrets à signer : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays ! » Le collaborateur s’appelait Jacques Chirac et la scène se déroulait en 1966, il y a un demi-siècle ! Depuis, les lois et règlements se sont empilés, les Français étouffent sous leur poids et les hommes politiques, y compris de droite, continuent de se présenter devant les Français en leur expliquant comment ils vont résoudre leurs difficultés en faisant adopter de nouvelles lois. Celui qui se présentera devant les Français en tenant le langage de Georges Pompidou et en ayant la stature d’un homme d’Etat prendra une sérieuse option sur l’électorat de droite.

Comment voyez-vous une recomposition de la droite d’ici à 2017 ?

Je n’en vois aucun signe. Dans le système français, une éventuelle recomposition ne peut survenir qu’après un échec électoral cuisant : ce pourrait être l’absence de tout candidat « de la droite et du centre » du deuxième tour de la présidentielle, ce pourrait être aussi une défaite de Marine Le Pen dès le premier tour. Après 2017, le champ des possibles s’agrandit. Jusque-là, tout est bloqué. En tout cas, si des événements non prévus se produisent à droite, ils n’auront pas une ampleur telle que l’on puisse parler de recomposition avant le lendemain de la présidentielle.

François Hollande sera-t-il le seul à avoir écouté Patrick Buisson en se donnant à peu de frais des airs d’homme de droite pour rafler la mise électorale ?

Hormis le symbole de l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution (même si cette réforme serait un recul par rapport à ce que permet aujourd’hui le Code civil) et hormis la stature régalienne que lui fournit son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, je ne vois pas très bien « les airs d’homme de droite » de François Hollande.S’il veut être réélu, ce que je crois, François Hollande va devoir rassembler son camp, qui est celui de la gauche, afin de se qualifier pour le second tour de la présidentielle, ce qui est sa difficulté première. L’inconnue est l’issue de la « primaire de la droite et du centre »  et donc le nombre de candidats de droite et du centre. Les sondages faits sur 2017 intègrent par exemple une candidature de François Bayrou, qui n’ira pas si Alain Juppé est désigné. Or de ce nombre de candidats dépendra le seuil de qualification pour le second tour.Toute la stratégie de Hollande est de neutraliser une à une les éventuelles candidatures dissidentes pour éviter une reproduction du schéma de 2002. Et de même qu’il avait singé, en 2012, la campagne de Mitterrand en 1981, il va nous rejouer « La France unie » de Mitterrand en 1988, en amusante concurrence avec Marine Le Pen puisque celle-ci a démarré sa campagne sur « La France apaisée ».Mais non, pour répondre précisément à votre question, je ne vois aucun indice d’une « buissonisation » de Hollande, ni d’aucun autre candidat hélas…

Propos recueillis par Claire Thomas

 

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