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Gabrielle Cluzel

Journaliste
 

Une fête devenue délicate ...

Connaissez-vous le village de Prignac-et-Marcamps, en Gironde? Son monument aux morts, ses trois églises, sa « fête des gens que l’on aime » et ses institutrices qui veulent se faire aussi « éclairées » qu’à Paris ? La petite affaire a été relayée par Le Huffington Post puis par Le Figaro. Des maîtresses de moyenne section ont collé le mot suivant dans le cahier de leurs petits élèves : « chers parents, au vu de situations familiales délicates de certains enfants, nous avons décidé cette année de fêter la “fête des gens que l’on aime” et non pas les traditionnelles fêtes des mères et pères. Chaque enfant a donc créé avec son enseignant 2 objets qu’il offrira aux personnes de son choix. »Une blogueuse a trouvé l’initiative formidable, et en a posté la photo sur Internet avec ce commentaire : « J’imagine à quel point ce peut être difficile pour les enfants qui n’ont pas la chance d’avoir un papa et une maman, ou bien qui ont tout simplement deux papas et deux mamans ». On nous dit que tout cela a remporté grand succès sur les réseaux sociaux. Le Figaro, jamais en reste d’une platitude dans l’air du temps, rapporte que « beaucoup d’internautes ont félicité l’initiative des maîtresses de cette petite école », et omet de parler de ceux encore plus nombreux que cela a prodigieusement agacés. Le processus est usé, éculé, élimé, mais les vieilles recettes sont encore les meilleures : déstockons donc une fois de plus du grenier la culpabilisation compassionnelle. Au vu des « situations délicates de certains enfants », les maîtresses qui continueraient à préparer la fête des mères manqueraient cruellement de tact. Comment peut-on blesser sciemment ces pauvres enfants sans maman ? Sauf que tous les enfants ont deux parents, quand ils n’en ont pas sciemment été privés par des couples homoparentaux. En 2016, les orphelins façon « Les roses blanches » de Berthe Sylva ne sont pas légion, la tuberculose et la mortalité en couche étant, nous l’aurons tous constaté, en net recul… Accident ou cancer, il peut cependant s’en trouver. Et les maîtresses de France et de Navarre n’ont pas attendu celles de Prignac-et-Marcamps pour s’en inquiéter. Il y a bien sûr, pour une institutrice, mille douces façons de célébrer, aussi, avec ces petits-là, la fête des mères. À situation délicate, solution adéquate, qui n’est pas forcément la suppression. Les établissements accueillant un enfant en fauteuil roulant devraient-ils être interdits de récréation, et les camarades de classe d’un élève diabétique, tous privés de goûter ? Le présent préparé, à l’école, pour la fête des mères n’est pas seulement destiné à « faire plaisir ». il est aussi éducatif. Il engage l’enfant à être reconnaissant envers celle qui lui a donné la vie et lui prodigue soin et tendresse, à le sortir du narcissisme inhérent à son âge. De la même façon, l’incontournable cadeau de fin d’année à la maîtresse – devenu, eu égard à son caractère systématique, un véritable avantage en nature, et qui existe sûrement aussi à Prignac-et-Marcamps -– exprime les remerciements des enfants pour le mal que la maîtresse s’est donné durant l’année. Il n’est pas seulement une démonstration impulsive d’affection. Imaginons un instant que celui-ci se transforme en cadeau « pour ceux que l’on aime ». Confié à l’enfant de 5 ans, le bon FNAC, le sac Longchamp, pourraient bien échoir au poisson rouge, au caniche, au doudou, ou au pot de Nutella, qu’il affectionne beaucoup et qui, en sus, ne lui intiment pas l’ordre de repasser sur les pointillés toute la sainte journée et ne le grondent pas quand il crayonne le dessin du voisin.  

Ce drame est un tabou

Autre « situation délicate », celles des « enfants du divorce ». Le lundi 6 juin, à l’invitation d’ICHTUS, l’association Famille et Liberté a présenté les actes de son Colloque « Les enfants du divorce, un sujet tabou ? ». Tabou idéologique mais aussi tabou empathique : Tant de parents son divorcés, parfois à leur corps défendant… évoquer la souffrance de leur progéniture reviendrait à remuer le couteau dans la plaie. Mutatis mutandis, le dilemme est le même que pour l’avortement. Comment en parler – charitablement – sans blesser ? Quant aux principales victimes, elles sont trop jeunes pour s’exprimer. Mais les enfants, un jour, grandissent. Devenus adultes, ils font entendre leur voix. Il y a eu, en 2009, le livre d’Agathe Fourgnaud Le jour où mes parents ont divorcé : des adultes témoignent, il y a eu en 2011, la grande enquête de l’UFE (Union des Familles en Europe). Il y a aujourd’hui les actes de ce colloque, qui a réuni de nombreux spécialistes internationaux – professeurs, juristes, éducateurs, psychologues, témoins – dont l’objectif n’est pas de culpabiliser, mais d’alerter pour prévenir plutôt que guérir. « Le mariage qui dure est le cadre le plus adapté aux besoins de l’enfant, non pas parce que les gens mariés seraient les meilleurs, mais parce qu’il offre à la famille un cadre protecteur et sécurisant. Il rend un service public qui n’est plus à démontrer », a déclaré lors de ce colloque Aude Mirkovic, porte-parole des Juristes pour l’Enfance. Alors que les députés viennent encore d’enfoncer un coin de ce cadre en votant le divorce par consentement mutuel sans juge, les actes de ce colloque* méritent d’être consultés et médités.    

* On peut les demander à : Famille et Liberté 17, rue Dupin 75006 Paris, famille.liberté@noos.fr

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