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Hubert Champrun

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Rembrandt : les effets de la lumière

Quel que soit le prétexte de l’exposition (ici explorer, autour des trois œuvres du musée, ce que Rembrandt a peint pendant la même période), on ne peut refuser d’aller contempler les Pèlerins d’Emmaüs. Mais « Rembrandt intime » nous offre d’autres chefs-d’œuvre, dont un admirable Saint Paul assis à sa table de travail : lumière à la fois précise et diffuse, pénombre envahissante mais néanmoins bornée, attitude méditative sans lassitude, vieillesse sans décrépitude, on est happé par ce portrait imaginaire et qui, pourtant, nous parle avec émotion et avec vérité de l’apôtre rédigeant ses épitres, au moment où il se recueille, dompte son intelligence, pèse ses mots et va frapper sa formule. L’exposition n’est pas immense mais riche, permettant d’admirer le peintre comme le graveur et le dessinateur : ses croquis sont si vifs qu’ils s’animent, comme Le Sacrifice de Manoah, et on comprend mieux la vie intérieure, vibrante, de ses portraits et de ses toiles plus contemplatives : son art est dans la maitrise de sa fougue. Lui aussi dompte son mouvement et ses grandes figures immobiles n’en sont pas moins vivantes. Un Vieil homme en costume oriental, nimbé de lumière, expose son visage, surgissant de la masse presque géométrique de son vêtement (très finement travaillé, dès qu’on s’approche : l’opposition est rhétorique et n’a rien de brutal). À peine penché, une épaule un peu en arrière, il regarde vers sa droite : quelqu’un arrive ou vient de s’adresser à lui. Il retient sa réponse. Rembrandt livre ses figures comme un romancier imagine ses personnages : la vie cachée surabonde et on sent qu’il instille dans le portrait ou le modèle toute une histoire qui frémit, comme il peint en accumulant les couches jusqu’à noyer certains détails, imperceptibles mais nourrissant toute la perception. Si admirables soient-ils, ses portraits de commande sont un ton en dessous de ses études.Les effets d’opposition du début (le Christ en ombre chinoise des Pèlerins, par exemple) cèdent la place à des compositions moins dramatiques, assagies, sans doute, mais surtout densifiées : les tronies, ou figure de genre, pour ainsi dire, disparaissent et, si les expressions sont plus neutres, les visages sont détaillés au point qu’on croirait voir le sang circuler (comme le dit joliment Emmanuel Starcky, l’un des commissaires de l’exposition) ; l’espace est presque vide autour des personnages mais les jeux de la lumière lui donnent une incroyable épaisseur. C’est toujours la vérité qui guide Rembrandt mais les aléas de la vie ont tempéré sinon éteint son dynamisme, tendance si bien illustrée par la série de ces autoportraits. Les soucis l’ont abattu mais pas vaincu. Rembrandt continue à explorer toutes les ressources de son art. L’exposition présente plusieurs gravures (et plusieurs états de ces gravures) sur des sujets chrétiens, comme les Troix Croix. Les effets de lumière sont radicalement différents d’une planche à l’autre, selon que le Christ est éclairé comme au moment de son baptême ou que sa croix disparaisse dans les hachures faisant tomber une obscure clarté sur celui qui va rendre l’âme. À des groupes sages, lisibles, foule docile retenue par la douleur et la résignation, succède un embrouillamini de formes dans un espace disloqué, presque cubiste, comme si la lumière était brisée par le scandale. Deux personnages à cheval, absurdes et hiératiques, personnalisent la loi, insensibles à ce qui se joue. Et l’un des larrons a déjà basculé dans le noir.    

Hubert Champrun

Rembrandt intime, au musée Jacquemart-André, jusqu’au 23 janvier 2017.

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