Logo
Imprimer cette page
Gabrielle Cluzel

Journaliste
 

Le rouge, le noir et madame leblanc...

«Robert Sarah, ce cardinal que La Manif pour tous adore », tel est le titre d’un article paru le 16 octobre dernier dans le Journal du Dimanche. Le journaliste développe : « Né dans une famille coniagui du nord de la Guinée, le cardinal s’est converti au catholicisme à l’adolescence. Formé dans la rigueur des Spiritains, il a ensuite bravé le dictateur Sékou Touré, qui avait chassé tous les prêtres étrangers du pays. En 1979, son courage politique lui a valu d’être nommé évêque de Conakry – alors le plus jeune du monde – par Jean-Paul II. En 2010, Benoît XVI, dont il est très proche, l’a créé cardinal. Depuis vingt-deux ans à Rome, il ne semblait pas prédestiné à rencontrer le public français. “Il est très apprécié des jeunes tendance Versailles”, décode un évêque. Sa popularité a grandi en France en 2012 avec l’émergence de La Manif pour tous, dont le noyau dur a défilé dimanche à Paris sur le thème de la filiation. » Pour résumer, « À 71 ans, le cardinal guinéen est devenu une icône pour les catholiques conservateurs français. Un mariage inattendu ». On a une furieuse envie de lui répondre : Si tu trouves ce mariage « inattendu », relevant de celui de la carpe et du lapin, si l’aura de ce cardinal à la peau d’ébène auprès d’une population très vieille France te laisse perplexe, c’est, mon chéri, que tu connais bien mal les catholiques. Que tu ne les as pas observés de près depuis un moment. Qui rencontre-t-on, à Lourdes, processionnant de concert, le soir, avec le petit cierge à collerette ? ou remplissant, à la source, la Vierge en plastique dont il faut dévisser la petite couronne bleue ? À côté de qui s’agenouille-t-on, à Montmartre pendant l’adoration ? Qui a-t-on croisé à l’ostension de la Tunique d’Argenteuil ? Des cathos « tendance Versailles », pour reprendre l’expression – plus sociologique que géographique – de cet évêque anonyme, et des cathos « façon cardinal Sarah », communiant dans la même foi d’enfant. Parce que c’est là la diversité bien comprise, le seul-vivre ensemble qui fonctionne. La seule issue possible, du reste, au déferlement migratoire. Si tant est que l’on tente, un jour, de retrouver le sens du mot conversion. S’il est des catholiques, au contraire, qui observent avec une froide hauteur, un mépris méfiant le cardinal Sarah, ce sont les catholiques de gauche, les lecteurs de Témoignage chrétien et de La Croix. Ceux-là mêmes, pourtant qui ne jurent que par l’accueil de l’autre. Car sa rigueur défrise le relativisme qu’ils appellent charité, son respect pour les rites dérange leur pratique éthérée, et toute la simplicité de son enseignement heurte leur spiritualité éclairée. « Les dévotions de ces gens-là sont teintées de superstition », lâchent-ils alors volontiers, enfermant – allez hop, ce n’est pas le temps que ça prend – tous les Africains dans le même panier. Le racisme n’est pas du côté que l’on croit.

Mais a-t-on seulement le droit de mentionner la couleur de peau du cardinal Sarah ? C’est la question que l’on peut se poser après l’ubuesque polémique autour de « l’alerte enlèvement » du 18 octobre dernier. Les services de la place Beauvau, signifiant la disparition d’un bébé de 4 mois, dérobé par son père – passons sur le fait que la présentation tragique de ce genre d’évènement d’ordre finalement « familial », comme s’il s’agissait d’un kidnapping perpétré par Michel Founiret surprend toujours – parlèrent en effet d’individu de « race noire » s’attirant l’ire de certains sur les réseaux sociaux, au point que le sort du bébé passa rapidement au second plan, devenant insignifiant comparé à la terrible boulette du ministère de la Justice. (Qui dût évidemment présenter ses regrets). Mais comment diable eût-il fallu faire ? Parler de la couleur de son pull ? De celle de ses baskets, comme on a dit du bébé qu’il portait un « pyjama rose »? Comment décrire Yannick Noah sans parler de sa couleur de peau ? Ses dents du bonheur sont-elles réellement sa caractéristique première ? Il est un petit jeu de société, vendu dans tous les supermarchés à destination des enfants à partir de 6 ans, et censé développer chez ceux-ci le sens de la déduction. Il s’intitule « Qui est-ce ? » et consiste de question, en question, à éliminer des personnages en fonction de leurs caractéristiques physiques « est-il chauve ? A-t-il une moustache? etc. », jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un seul. Si, pour mener leur enquête, la police, le ministère de la Justice, s’interdisent les outils de déduction d’un élève de cours préparatoire, si lorsque l’on s’intéresse au crime commis dans la bibliothèque avec la clé anglaise, on ne veut pas demander aux témoins s’ils ont vu sortir en courant le Colonel Moutarde plutôt que Madame Leblanc, au motif qu’il faudrait poser des questions inconvenantes quant à leur carnation respective, qu’allons-nous devenir, ma brave dame ? Le Point Afrique, au printemps dernier, évoquait également le cardinal guinéen dans un titre audacieux : « Mgr Sarah, l’Africain qui peut devenir pape ». Dans cette hypothèse, aura-t-on le droit de s’extasier : le blanc lui va si bien !       

© 2015 - 2020 Monde & Vie Tous droits réservés