Abbé de Tanoüarn
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Entretien avec Laurent Dandrieu : « Le christianisme pourrait aisément redevenir une idée neuve en Europe »
Dans votre livre Église et immigration, le grand malaise, vous pointez le danger d’une immigration massive. Mais pourquoi vous en prendre à l’Église ? N’est-ce pas là une question purement politique ?
Il est évident que la responsabilité première n’est pas celle de l’Église. Il faut d’abord incriminer les politiques, mais d’autres s’en chargent amplement et l’on n’avait pas besoin de moi sur ce sujet. Pour autant, la responsabilité de l’Église est loin d’être nulle, et c’était pour le coup un sujet tabou, que les fidèles abordent depuis des décennies sous le manteau mais que personne n’avait vraiment osé aborder de front, et encore moins travaillé. Cette responsabilité, j’en prendrais deux symboles : le premier est raconté par Malika Sorel dans son livre Décomposition française, et date du gouvernement de Dominique de Villepin : « En février 2006, alors que je demande à l’un de ses conseillers, dans son bureau, la raison de l’impuissance du Premier ministre sur la question des expulsions de clandestins, je suis stupéfaite de m’entendre répondre que, à chaque fois que ce sujet de l’immigration resurgit dans le débat public, de hauts responsables de l’Église font un sit-in devant la porte du Premier ministre, et il lui devient alors très difficile d’agir. » L’autre exemple vient d’Italie, où Mgr Nunzio Galantino, secrétaire général de la Conférence des évêques, nommé à ce poste par le pape François, a déclaré qu’« aujourd’hui accueillir les immigrés est un dédommagement pour les dommages que nous avons perpétrés pendant des années et les fautes que nous avons commises » dans leurs pays, « où nous ne sommes allés que pour voler, coloniser et exploiter »… Aux échelons supérieurs, c’est à peine mieux, puisque je démontre dans mon livre que non seulement tous les papes depuis Jean XXIII ont eu une vision messianique des migrations, censées être une préfiguration de la Jérusalem céleste, mais qu’ils ont en outre multiplié les préconisations directement politiques qui en aggravent les effets : notamment en prônant le regroupement familial, qui transforme l’immigration de travail en immigration de peuplement, ou en condamnant l’assimilation, qui est pourtant le seul moyen d’éviter que l’immigration de masse ne débouche sur un communautarisme et ne sape l’identité nationale. J’ajoute que le discours ecclésial constant, depuis soixante ans, en faveur de l’accueil, a contribué puissamment à culpabiliser les catholiques qui voulaient s’opposer à l’immigration et à miner l’esprit de résistance européen.
Vous déplorez « une hiérarchie catholique, abandonnée à la seule logique de l’accueil ». Mais n’est-ce pas la logique de l’Évangile, en particulier de Matthieu au chapitre 25 : « J’étais étranger et vous m’avez accueilli » ?
C’est une phrase qui a été martelée, notamment par nos évêques, pour clore le débat au titre que tous ceux qui s’opposent à l’immigration de masse seraient infidèles au Christ. L’argument est fallacieux et me semble typique d’une confusion des ordres qui ne sait plus la différence entre charité et politique, entre préceptes de sanctification personnelle et règles de gouvernance. Jésus n’a pas écrit de traité de gouvernement, et n’a pas prétendu fonder une politique ! La morale personnelle informe et nourrit la réflexion et l’action politique mais on assiste aujourd’hui à une colonisation de la politique par la morale qui est létale. « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » est un précepte évangélique fondamental mais on ne peut pas fonder une politique migratoire là-dessus. La parabole du bon Samaritain qui s’impose à chacun d’entre nous personnellement n’est pas transposable, ex abrupto, à l’arrivée de centaines de milliers de clandestins sur nos côtes. La mise en danger personnelle à laquelle le Christ nous invite, qui est un chemin de Salut, on ne peut pas l’exiger d’une civilisation tout entière, dont le but n’est pas le salut spirituel, mais sa propre perpétuation et sa survie ! Si les préceptes évangéliques pouvaient fonder une politique, le Catéchisme de l’Église catholique ne pourrait pas justifier, comme il le fait, la légitime défense, qui est contraire à l’invitation évangélique à tendre la joue gauche ! Quand l’islamisme nous déclare la guerre, on ne peut pas se contenter de “ranger l’épée au fourreau”. La plus haute tradition de l’Église nous reconnaît le droit et le devoir de nous défendre de cette menace-là. J’aimerais que les successeurs des apôtres d’aujourd’hui en soient toujours conscients.
Vous dénoncez l’étrange islamophilie de l’Église. Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Le discours de Ratisbonne peut-il être une charte des relations entre islam et christianisme ? De Jean-Paul II qui embrasse le Coran ou qui prie pour « que saint Jean-Baptiste protège l’islam », à François qui écrit dans Evangelii Gaudium « que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence », les exemples ne manquent malheureusement pas. La faute en revient à une mauvaise conception du dialogue interreligieux qui s’est rapidement installé, dit un spécialiste, le père François Jourdan, dans « un dialogue de salon, faussement consensuel ». L’important devient de ne pas fâcher l’interlocuteur, soit en minorant les divergences (rapport de l’islam avec la violence et incompatibilité avec les valeurs occidentales), soit en cultivant de fausses ressemblances (Jean-Paul II déclarant : « Nous croyons au même Dieu »). Benoît XVI a tenté de revenir à un dialogue en vérité, mais les mauvais habitudes étaient prises depuis trop longtemps et cela a suscité une vague de violences musulmanes contre les chrétiens, mais aussi amorcé une réflexion critique d’intellectuels musulmans sur leur propre religion. Malheureusement, avec François, on est revenu à un dialoguisme vide de sens et émollient.
N’assiste-t-on pas à la formation d’une idéologie immigrationniste qui est une caricature de la morale chrétienne, ce que vous appelez quelque part « le bonisme » ?
Malheureusement oui, et l’Église, là-dessus, épouse tristement le discours du monde. Le bonisme, c’est une caricature de charité qui ne vise qu’à se donner bonne conscience à peu de frais, une charité qui ne se soucie ni d’efficacité (puisqu’on fait miroiter aux migrants une prospérité qu’on n’a pas les moyens de leur assurer), ni de prudence (puisqu’on met en danger l’identité européenne et la sécurité du continent), ni de justice (puisque les souffrances des Européens sont l’angle mort du discours catholique), ni du bien commun (systématiquement sacrifié au bien supposé de l’étranger). Bref, typiquement l’une de ces vertus chrétiennes devenues folles.
Selon vous, tous les papes, depuis Pie XII, encouragent les migrants. Puisque vous l’avez étudié à fond, qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans l’enseignement des papes sur l’immigration ?
Incontestablement, la continuité de ce discours, avec des nuances dues aux sensibilités propres à chacun. Certains ont la tentation de tout mettre sur le dos du pape François, mais de Jean XXIII jusqu’à Benoît XVI, il y a cette même absolutisation du droit à migrer dès que l’on trouve ailleurs « des conditions de vie plus favorables », et cette même vision de migrations qui seraient « le travail d’enfantement d’une humanité nouvelle ». Pour autant, il ne faut pas désespérer, et l’on peut dire de la position de l’Église sur les migrants ce que le cardinal Sarah dit de la réforme liturgique : comme elle est essentielle à la survie de l’Église, elle se fera. Au jour que Dieu choisira (mais nous pouvons épauler son choix en combattant pour cela), mais elle se fera.
Mais le pape François n’a-t-il pas rendu plus prégnant ce discours immigrationiste ?
Indubitablement, moitié par tempérament, moitié à cause de l’actualité (crise des migrants et terrorisme islamique) qui rend ce sujet incontournable. Mais alors qu’on aurait pu penser que cette actualité commandait une plus grande prudence, on assiste au contraire à une fuite en avant, favorisée par le goût du pape pour les gestes spectaculaires (les clandestins musulmans ramenés de Lesbos) et les paroles à l’emporte-pièce (la « violence catholique », « le chrétien laisse venir tout le monde »). Il y a une forme de légèreté “franciscaine” dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas à la hauteur des enjeux.
Vous écrivez que l’Europe est en danger de mort et qu’elle doit se défendre non seulement par des régulations migratoires, mais par une politique culturelle. Comment définiriez-vous les linéaments de cette politique dont nous avons besoin pour ne pas mourir ?
La première chose est que l’Europe doit assumer enfin son identité réelle, les valeurs qui la sous-tendent et qui s’opposent à celles de l’islam, et reconnaître ses racines chrétiennes. Cette reconnaissance est d’ailleurs le seul moyen d’éviter la rivalité communautaire à laquelle une forte présence musulmane semble la condamner. Voilà pour l’Europe. La seconde chose, elle, dépend de l’Église : c’est qu’elle se donne enfin les moyens d’assurer son ambition de “nouvelle évangélisation” en cessant de mépriser, au nom d’un fantasme néo-cathare de la foi pure, le “catholicisme culturel” qui est le seul véritable vivier de cette nouvelle évangélisation, tous ces Européens qui ont perdu la foi de leur enfance ou de leurs pères et qui ne sont plus attachés au catholicisme que par un lien historique, mémoriel, patrimonial ou – et pourquoi pas ? – politique. Plutôt que dénoncer cet attachement culturel comme un détournement odieux ou une crispation identitaire, il est vital au contraire d’y voir un chemin de conversion pas plus indigne qu’un autre, le levier d’un formidable rebond du christianisme en Europe, le signe plein d’espérance que, malgré l’évidente sécularisation, l’âme chrétienne ne se résout pas à mourir au sein des populations les plus déchristianisées. La pression de l’islam aidant, le christianisme pourrait aisément redevenir une idée neuve en Europe. Il faudrait juste qu’on cesse de se tromper de cible et de traiter en ennemis de la foi ces “catholiques culturels”, pour le moment seulement attachés à la crèche et au clocher mais qui ne demandent qu’à être reconduits vers le Christ, pour peu que l’Église comprenne que c’est là que réside son avenir.
Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn