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Saint-Nicolas : Paris vaut bien une messe !
Jacques-Régis du Cray est historien du mouvement traditionaliste, réalisateur d’un film remarqué sur la vie de Mgr Marcel Lefebvre. Il a bien voulu répondre à nos questions alors que l’on fête le 40e anniversaire de la « prise » de Saint-Nicolas du Chardonnet.
Qu’est-ce qu’évoque pour vous la « prise » de Saint-Nicolas du Chardonnet ?
En 1977, je n’étais pas encore né. Par conséquent, même si j’ai grandi à l’ombre du clocher de Saint-Nicolas du Chardonnet, je n’ai connu ce qu’il est convenu d’appeler la « prise » que par les récits de ceux qui l’ont vécue. D’après ces témoignages et, au-delà du caractère mouvementé de ce qui peut sembler constituer une occupation, je parlerais davantage de restauration car, avant le 27 février 1977, l’église avait perdu son statut de paroisse et demeurait fermée une bonne partie de la semaine. Depuis ce jour-là, sa nef et ses confessionnaux ne désemplissent plus. Pour ses affectataires de fortune, cet évènement a sans aucun doute marqué le début d’une espérance cruciale et la fin d’une errance à travers la capitale. La messe traditionnelle était littéralement interdite et les séminaristes qui souhaitaient être ordonnés pour la célébrer systématiquement condamnés. Ce jour d’hiver 1977, les défenseurs du culte traditionnel ont à nouveau espéré.
Quels sont les grands moments de l’histoire de Saint-Nicolas ?
Même si Saint-Nicolas est bien connu pour ces quatre dernières décennies, cette église paroissiale reconstruite au xviie en plein quartier latin avait une histoire ancienne et elle a certainement connu deux grands moments qui la distinguent des autres sanctuaires de la capitale. Au début du Grand Siècle, un séminaire fut édifié à ses côtés et de là, Adrien Bourdoise s’est avéré être un véritable héraut de la Contre-Réforme, multipliant les missions, exerçant un rayonnement par la prédication, formant un clergé instruit et cultivé. La loi de Séparation a mis fin à cette époque faste. Et c’est une autre figure cléricale, le chanoine Gabriel Lenert, qui a redonné une impulsion à l’église en la centrant sur sa vocation sacerdotale. Il obtint de saint Pie X d’y faire résider une confrérie dédiée à Marie, reine du clergé, pour remplacer le séminaire spolié. En 1912, le pape alla plus loin et fit de l’église le siège d’une archiconfrérie. C’est pourquoi Saint-Nicolas du Chardonnet est devenue la mère de toutes les confréries de Marie Reine du clergé à travers le monde. Le fait que la Fraternité Saint-Pie X s’y installe alors que son premier but est la sanctification sacerdotale est un évident clin d’œil de la Providence.
Que s’est-il passé ce 27 février 1977 ?
Entre le moment où les réformes liturgiques ont été appliquées puis exigées et celui au cours duquel Saint-Nicolas a été occupée, des dizaines de lieux plus ou moins insalubres ont été expérimentés par Mons. Ducaud-Bourget et ses amis désireux de maintenir la messe traditionnelle à Paris. À l’hiver 1976-1977, avec son neveu, avec l’abbé Coache, l’abbé Serralda et Madame Buisson, il décida de célébrer la messe dans une véritable église pour marquer les esprits à l’occasion des élections municipales. Une fois l’assemblée envoyée, il pensait se retirer dans la sacristie préparée à la Mutualité. Or, ce qui devait être provisoire au cours d’une messe est devenu pérenne pendant quarante ans du fait des assistants si suppliants ! Sans doute, derrière la frêle figure du prêtre diocésain souffreteux se cachait une âme ardente qui avait connu la Grande Guerre, mêlant à la physionomie de Léon XIII celle du curé d’Ars. Mais il faut voir en Mgr Ducaud-Bourget un diplomate plutôt qu’un jusqu’au-boutiste, sachant allier l’humour à la plume plutôt que le sabre et l’amertume. D’ailleurs, il ne tenait pas à se laisser déborder par l’excès. Il renvoya des prêtres sédévacantistes de sa sacristie et il interdit qu’on ôtât le drapeau du Saint-Siège dans le chœur de l’église qu’il avait délivrée.
Monseigneur Ducaud-Bourget a une œuvre importante de poète mystique…
Tout au long de sa vie, Mgr Ducaud-Bourget a beaucoup rédigé. Il a produit des écrits historiques, dramaturgiques, et même de critique littéraire. À ce titre, il n’avait pas ménagé Paul Claudel et François Mauriac. Néanmoins, ce sont ses poèmes, primés par l’Académie française, qui ont occupé bon nombre de ses soirées. Dom Gaspar Lefebvre, l’auteur du célèbre missel, avait préfacé en 1933, l’un de ses premiers recueils, l’Oblation, véritable hymne magnifiant la liturgie et révélant l’union intime du prêtre au sacrifice divin. Selon le grand bénédictin, ces poèmes méritaient d’être donnés à lire dans les séminaires. L’ensemble de son œuvre suit l’évolution de Paris au xxe siècle, celle de l’Église en transformation, les inquiétudes du prêtre et ses multiples pérégrinations. Sans doute était-ce une manière d’utiliser un art pour glorifier Dieu. En même temps, ce style lyrique, à la fois léger et fin, agrémentait l’opiniâtreté d’une âme aussi sensible que vaillante.
Pouvez-vous évoquer aussi l’abbé Vincent Serralda ?
Avec sa barbe blanche et son nom hispanisant, l’abbé Serralda avait une allure de missionnaire et une dénomination de conquistador. Il avait à la fois l’âme de l’un et de l’autre. Fils d’un maçon et d’une ménagère établis près d’Alger, il n’a reculé devant aucun feu et vécut tour à tour la Seconde guerre comme aumônier militaire et la Guerre d’Algérie où il manqua d’être abattu plus d’une fois. Sa soutane, qu’il n’a jamais abandonnée et pour laquelle il fut persécuté, masquait les nombreuses médailles et citations à l’ordre de l’armée de ce pasteur studieux, humble et déterminé dont la modeste taille fut sans doute l’un des rares points qui le différenciait du père Brottier. Comme il avait été vicaire de Saint-Nicolas du Chardonnet entre 1964 et 1968, il facilita l’entreprise de sa restauration par la connaissance qu’il avait des lieux, avant de reprendre le chemin de ses chapelles de fortune, Sainte-Germaine et la salle Wagram. Dans les années 1990, sa silhouette sillonnait toujours l’avenue des Ternes et ne manquait pas d’arrêter le passant à la vue de ce petit géant. Son passé ne faisait pas pour autant de lui une tête brûlée en peine de conflits. Ses jeûnes hydriques pendant des jours et des jours en faisaient plutôt un ascète tandis que ses derniers mots appelant à « rester toujours attachés à Rome » constituaient un appel à ne pas perdre de vue l’horizon de tout catholique.
Y aurait-il eu « Saint-Nicolas du Chardonnet » sans un engagement des laïcs ?
Le jour de la « prise » de l’église, le clergé pensait simplement célébrer une messe. Il faut bien attribuer au petit troupeau exilé, errant de salles en salles, l’idée de se maintenir d’abord, une journée, puis une semaine puis une année. Au départ, une garde étoffée fut organisée pour éviter son expulsion. Elle fut ravivée en 2003, à la suite d’une occupation par des sans-papiers. Aujourd’hui encore, le fonctionnement matériel de cette paroisse fait participer chaque année des centaines de bonnes volontés pour la nettoyer, faire fructifier ses œuvres en tous genres, organiser ses processions, ses kermesses, coopérer à l’action du clergé. Dans les premiers temps, le rôle des hommes de lettres et des académiciens a été primordial pour asseoir intellectuellement la cause de Saint-Nicolas. Michel Droit, Jean Dutourd, Michel de Saint-Pierre, Jacques Dufilho, Jacques Perret, Jean Raspail, et bien d’autres ont permis de faire, de ce qui était présenté comme une occupation, une concession à des âmes délaissées et transformer un sanctuaire abandonné en un véritable temple réunissant toutes les traditions, des plus saintes aux plus populaires, désormais délaissées. Sans cet appui salutaire d’hommes de renom, les autorités ecclésiastiques, moins intimidées, auraient sans doute fait évacuer les lieux où auraient alors été tissées les toiles d’araignées, à défaut de recouvrer chasubles ou conopées.
Pouvez-vous évoquer en quelques mots les curés qui se sont succédé à Saint-Nicolas du Chardonnet depuis que monseigneur Ducaud-Bourget a remis cette église entre les mains de la Fraternité Saint-Pie X ?
À sa mort en 1984, Mgr Ducaud-Bourget a effectivement fait appel à l’œuvre de Mgr Lefebvre pour le remplacer. Il avait déjà reçu le concours apprécié des abbés Michel Simoulin et Philippe Laguérie. Ce dernier devint le prieur des lieux pendant treize années où les cloches sonnaient à toutes volées. Mgr Ducaud-Bourget refusait le titre de curé car il considérait que, n’ayant pas reçu juridiction pour cette tâche, il orchestrait plutôt un sauvetage des âmes déconsidérées. L’abbé Laguérie (1984-1997) était un orateur né qui savait ragaillardir les ardeurs. À sa suite, l’abbé Christian Bouchacourt (1997-2003) avait le don de toucher les cœurs et de faire renaître l’espérance dans les familles. L’abbé Xavier Beauvais (2003-2014) avait indéniablement un talent d’organisateur et ses prêches, d’une grande tenue, ont su résonner pour quantité de militants parfois déboussolés. Dernièrement, l’abbé Patrick de La Rocque (depuis 2014) a désiré réveiller la jeunesse, en l’invitant à épouser de nobles causes qui lui évitent le repli, en l’invitant à la charité pour les Chrétientés d’Orient persécutées. Tous ces prêtres, avec la collaboration de dizaines de confrères, ont fait de ce qui était au départ une bouffée d’oxygène un véritable poumon traditionnel au cœur de la capitale. Les hommes passent et l’œuvre se perpétue, rythmée par la vie des sacrements tandis que la grâce du Christ y est redistribuée quotidiennement.
Comment voyez-vous l’avenir de cette église, après 40 ans de témoignage traditionnel ?
L’avenir de cette église au cœur de la France est déjà tracé, c’est celui que lui avait donné Adrien Bourdoise : le cœur d’une mission vouée à rayonner. C’est le même objectif que Mgr Lefebvre espérait pour ses prêtres qui desservent l’église aujourd’hui : devenir des propagateurs d’un véritable zèle sanctificateur. Saint-Nicolas a fait des émules, directes ou indirectes – Notre-Dame-de-Consolation est sa plus jeune sœur – et la messe grégorienne retrouve doucement mais sûrement sa place sur les autels. Sans doute, le danger serait-il de devenir une citadelle assiégée. Le but est d’en faire une véritable matrice, porteuse des exemples aguerris du passé. En formant et en sanctifiant les âmes, Saint-Nicolas du Chardonnet doit pouvoir présenter une nouvelle génération de fidèles apôtres rayonnant avec habileté et charité.
Propos recueillis par Claire Thomas