Monde & Vie
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La révolution du cynisme
Il y a plusieurs manières de faire la révolution. On peut la faire au nom d’une vision de l’homme. On peut aussi la faire au nom d’une absence totale de scrupules : le cynisme, à un certain degré, est en soi révolutionnaire.
«La présidence Macron est le produit de ceux qui ne pensent pas. De ceux qui s’imaginent que les idéologies sont dépassées, que nous n’avons plus de nécessité d’interpréter le monde, qu’il y a des faits bruts ». Cette formule d’Alain de Benoist dans un entretien avec Spoutnik, l’agence russe, pourrait sans doute servir à caractériser les onze candidats à l’élection présidentielle de 2017, à l’exception peut-être de Jean-Luc Mélenchon. Le patron de la France insoumise, étant dans l’obligation de camoufler son marxisme d’un autre âge, avait préparé son positionnement. Abandonnant l’expression « Front de gauche » qui ne lui avait guère porté chance à Hénin-Beaumont en 2012, face à Marine Le Pen, il avait tenté d’exprimer une philosophie de la vie, une attention pour « vous les gens », une nouvelle image d’une gauche réduite à sa philosophie. Voilà ce qui lui a permis de vampiriser le Parti socialiste, qu’il laisse à 6, 15 % des voix. En face de Jean-Luc Mélenchon, aucun candidat n’a fait véritablement ce travail de renouvellement, et surtout pas celui qui se targue de renouvellement, et qui est plutôt en train de tenter une véritable OPA sur la politique française. Champion de l’esprit libéral libertaire, Emmanuel Macron est sans doute le plus conservateur de tous les candidats, il conserve la société telle qu’elle est, en flattant encore ses travers, en faisant la promotion de tous les droits sociétaux. Il conserve l’économie française telle qu’elle est, en implorant l’Allemagne d’Angela Merkel de partager les bénéfices. C’est apparemment sa seule marge de manœuvre : ce que l’Allemagne voudra bien nous laisser de sa part du gâteau européen. Il change le personnel politique ou tente de le changer, à travers un mouvement à ses initiales, En Marche, rebaptisé La République en Marche, mais c’est pour utiliser les mêmes rituels et la même langue de bois, voire – François Bayrou en sait quelque chose déjà – les mêmes coups de poignard dans le dos et le même cynisme calculateur. Il n’y aura pas d’état de grâce pour le parti d’Emmanuel Macron. Il faudra vraiment pour lui que les Législatives arrivent très vite, avant que la supercherie ne se dévoile et que l’on comprenne que, comme dit Alain de Benoist, Macron n’avait pas d’autres idées que de faire (lui) ce qui se fait et de dire (lui) ce qui se dit. Là est le changement : autrefois, il y avait des images de l’homme, des idéologies différentes, un intérêt porté par l’animal humain à sa condition. Aujourd’hui tout se réduit à l’argent, celui que l’on peut faire sur le moment. Emmanuel Macron n’a pas seulement plu par sa mine de gendre idéal. Il a été élu sur le prestige de cet argent-là et de son parcours Rotschild. L’argent donc ? Mais peut-être pas seulement… Il a été élu aussi sur sa bonne mine de “dégagiste”. Son principal mérite ? Il fait le ménage et parvient à imposer son attitude de gandin mal décontracté, qui sera jugée préférable au sérieux compassé de François Fillon, un François Fillon dont le sort final avait d’ailleurs sans doute été décidé à Bercy, juste après sa victoire écrasante à la Primaire de la droite. Macron est né jeune, des cendres de François Hollande, brûlant la politesse à un Manuel Valls, dont le républicanisme franco-français a été jugé décidément ringard par les électeurs de la Primaire socialiste. C’est à cet extraordinaire alignement des planètes qu’il doit cette vocation de dégagiste. François Bayrou l’a réalisé : ses embrassades sont des baisers de la mort. Du reste, Macron lui-même s’en était fait une gloire. Parlant de la droite juppéiste, après la victoire de François Fillon à la Primaire de la droite, il avait averti sa petite start-up : « Il faut déstabiliser cette partie de la droite qui ne se retrouve pas dans le vote Fillon. Je ne cherche pas à les faire venir, je cherche à les déstabiliser… en leur ouvrant les bras ». Quel cynisme ! Et cela vis-à-vis de la droite la plus proche de lui… Quel est son intérêt ? Quelle est sa tactique ? Préparer le terrain pour créer une fantastique machine à gagner. Il a déjà dégagé le PS, en ne gardant que Jean-Luc Mélenchon comme adversaire, à l’extrême gauche (il parle sans cesse « des extrêmes »). Il doit maintenant s’atteler à dégager aussi la droite parlementaire, pour n’avoir plus en face de lui que le Front national… qui le fera gagner infailliblement. Même le sigle du nouveau nom de son Parti (LR-EM) résonne comme une invitation à chiper l’identité LR. La première liste de candidats de LREM ne comporte d’ailleurs que 24 députés sortants, ils sont tous socialistes. Les 404 autres à faire partie de la première liste annoncée n’ont jamais été députés. Même Mai 68 n’était pas parvenu à un tel nettoyage ! Ces gens, issus de la société civile, trop contents de toucher leur paquet, seront totalement soumis au Parti LREM. Quel jeunisme, oui quel cynisme. Il faudra vite voter, vite : notre nouveau Président ne doute pas que l’on votera aussi pour lui aux Législatives et que l’on donnera sa voix aux inconnus qu’il promeut, simplement parce qu’il leur a donné son label.
La réponse de Marion
Il y en a une qui a dû réfléchir au parcours d’Emmanuel Macron, et à la petite révolution qu’il induisait, à la machine à gagner qu’il construisait, c’est Marion Maréchal Le Pen, 28 ans à la fin de son premier mandat à l’Assemblée nationale, une jeune, elle aussi, mais qui n’a pas le soutien du CAC 40 et des Américains. Pourquoi a-t-elle quitté le Front national et les mandats qu’elle avait obtenus sous ses couleurs ? Parce que c’est une maman qui veut prendre le temps de s’occuper de sa petite Olympe ? Sans doute s’agit-il là de la raison officielle. Mais il me semble que quand elle met elle-même en cause « les politiciens déconnectés du réel avec des décennies de mandat électif », c’est à Macron qu’elle pense, lui qui n’avait jamais vu un électeur de sa vie, et à sa magistrale opération de recyclage et de tri sélectif des vieux politiciens, c’est à sa tante qu’elle s’attarde intérieurement, c’est à son Parti qu’elle réfléchit d’abord, à l’aliénation que constitue un Parti politique, dont il faut avant tout épouser la ligne. Et quand elle revendique sa liberté comme « la principale chose que Jean-Marie Le Pen nous a léguée », c’est la féroce discipline du Nouveau Front Philippotiste qu’elle vise, ce Parti qui bientôt changera de nom, mais ne changera certainement pas de ligne, tant que sa tante le présidera. L’élection d’Emmanuel Macron lui a sans doute fait comprendre que la politique à la (grand) papa était devenue contreproductive, qu’à son âge elle avait le temps, qu’il ne lui seyait guère d’avaler des couleuvres en attendant une hypothétique succession et que maintenant, elle ferait elle-même son propre chemin politique, non celui d’une héritière, qui serait là pour reprendre l’entreprise familiale, mais celui de la femme de conviction, qui se sent prête, un jour, à convaincre les Français.
Elle a longuement remué cette idée dans son esprit, des bruits ont couru avant d’être officiellement démentis, mais on peut penser que le débat calamiteux entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen a levé ses derniers doutes : le Parti décidément ne détient pas la vérité politique dont les Français ont besoin et le discours partisan s’use plus vite que les autres. Elle avait longtemps essayé de représenter une autre ligne au Front national. Il lui fallait se renforcer pour porter les idées de cette droite sociale, qu’a incarné un moment son grand père, venu au poujadisme et qui ne l’a jamais oublié. Cette droite des petits entrepreneurs, des commerçants, des artisans, cette droite populaire et non idéologue, de fait, elle n’a rien à voir avec le Front national de Florian Philippot. Un conflit fratricide se profile. Ce sera sans elle ; fratricide, ce conflit ne le sera pas. Elle préfère démissionner !
Et de fait le conflit est bien là. D’un côté les frères Philippot estiment que si le Front national renvoie aux calendes grecques la sortie de l’euro, ce sera sans eux. Et ils mettent leur démission dans la balance. De l’autres côté les barons du régime, en particulier ceux qui ont des intérêts électoraux à gérer, mais aussi ceux qui se sont engagés au Front national d’abord pour défendre la civilisation contre la mondialisation s’éloignent spontanément de ce souverainisme jacobin dont font preuve les énarques du Front national, Florian bien sûr, mais aussi Jean Messiha par exemple. Le premier, Gilbert Collard, très proche de Marine et qui fait un peu office de « vieux sage » à distance (il est membre uniquement du Rassemblement Bleu Marine) a déclaré, quelques jours après l’échec du Front à la Présidentielle : « Pour nous, la question de l’euro, c’est terminé. Le peuple a fait son referendum dimanche 7 mai. Marine doit entendre ce message ». Et Robert Ménard, qui lui aussi est un peu en dehors du Parti, a déclaré avec force : « En cas d’accession au pouvoir de Marine Le Pen, l’euro nous protègerait ». Quant à Nicolas Bay, le secrétaire général du Parti, il a déclaré à RMC de façon moins catégorique, mais dans la même direction : « En matière économique, il y a beaucoup d’autres mesures plus importantes, plus urgentes que la sortie de l’euro. Notre position est pragmatique, on n’a pas de posture dogmatique sur la question ». Malgré cet imbroglio idéologique, Marine Le Pen est partie en vacances. Une manière sans doute d’évacuer le stress et la responsabilité qui lui incombe. Elle a voulu séduire à gauche les derniers socialistes patriotes, mais son patriotisme républicain n’est pas incarné… Elle a montré, lors de ce débat, qu’elle ne trouvait pas en elle-même l’inspiration pour parler de la France. Saura-t-elle désormais parler à tous les Français ? Si elle s’enferme dans ce républicanisme désincarné que lui a dessiné Florian Philippot, alors le Front national ne pourra plus prétendre qu’à être la machine qui fait gagner Macron. MLP deviendrait elle-même un obstacle pour le parti des Patriotes qu’elle ambitionne de créer... Le Front national sort de cette élection, plus divisé qu’il y est entré. On peut en effet se poser la question : l’avenir de la droite est-il au Front national ou dans une droite alternative ? C’est la question à laquelle, volens nolens, Marion a répondu… En partant…
Alain Hasso