« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Abbé de Tanoüarn

Rédacteur en chef

Entretien avec Jean Messiha 

J’ai rencontré l’homme qui a coordonné le programme du Front national, un personnage hors du commun, qui donne l’impression de voir plus loin que les politiques, tout en ayant le pouvoir d’expliquer de manière parfaitement claire sa vision à la fois économique et culturelle.

Jean Messiha, vous apparaissez à qui vous croise comme un être… mystérieux…

Il est vrai que j’ai un parcours singulier. Copte orthodoxe de naissance, j’ai reçu une éducation catholique, en particulier à Saint-Louis de Gonzague, où j’ai fait la grande partie de ma scolarité. Mais savez-vous qu’une grande partie du clergé copte a été élevée par les congrégations catholiques ? Il y a là pour moi deux spiritualités, qui ont bercé mon enfance, deux mondes. Et aujourd’hui, je vais à la messe dans le rite copte orthodoxe, mais il m’arrive souvent, pour des raisons de commodité, d’assister à la messe catholique, ici à Notre-Dame d’Auteuil.

Une telle empreinte a-t-elle influé sur votre engagement politique ?

Pour moi, faire de la politique, cela signifie d’abord « se mettre au service de… ». De même qu’un prêtre ou un religieux fera siennes les paroles évangéliques, stipulant que « Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon », de la même façon en politique, on ne peut pas aimer en même temps Dieu et Mammon. C’est le problème auquel Macron doit faire face. Nous autres les politiques, nous avons choisi une sorte de sacerdoce laïc, sublimé, à l’intérieur, par la dimension religieuse.En vous écoutant, vous copte égyptien et fier de votre origine, je pense à Boutros-Ghali, qui a terminé sa carrière, lui le copte, comme secrétaire général des Nations-Unies…C’est vrai que c’est un modèle pour moi, en particulier parce qu’il était francophone et francophile. Il passait beaucoup de son temps en France et il aimait cet art de vivre à la française. Pour moi, j’ai été naturalisé français à 20 ans et c’est en toute liberté que j’ai fait le choix de la France. J’aime ce pays paradoxal, qui a un long passé, mais où les idéologies, qui se sont succédé, ont laissé une empreinte beaucoup plus profonde que dans les autres pays d’Europe.

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui la France ne ressemble à aucun autre pays, tout en demeurant une référence pour chacun d’eux ?

La France a été le pays qui est allé le plus loin dans la désacralisation et la déchristianisation. Mais en même temps, la nature a horreur du vide. La France a voulu prendre au pied de la lettre le « Ni Dieu ni maître ». Et cela s’est transformé pour elle en « plusieurs dieux et plusieurs maîtres ». La désacralisation a créé un terreau fertile pour les idéologies de toutes sortes.  Une certaine littérature a tendu à nous faire accroire que le chrétien est prisonnier de son dogme. C’est le contraire qui est vrai. Le christianisme absolu, transcendant, préserve la pureté et la liberté de notre entendement et de notre discernement. En France, plus qu’ailleurs ont fleuri les idéologies, sur le terreau de l’agnosticisme ou de l’athéisme. Cela est vrai jusque dans les années 50 ou 60 avec l’empreinte du communisme, puis du maoïsme. Cela est vrai aussi du libéralisme des années 80. Ceux qui ne sont pas tombés dans toutes ces modes, c’est parce que, d’une manière ou d’une autre, ils étaient croyants et donc libres.

Qu’est-ce que vous devez au christianisme, vous qui êtes un chrétien d’Orient ?

Le génie du christianisme, pour reprendre la formule de Chateaubriand, tient en un seul mot : « La lettre tue, c'est l'esprit qui vivifie ». L'important, pour un chrétien, à l’image du Christ fils de Dieu, c’est la relation filiale, incarnée, avec un Dieu qui n’est pas lointain, parce qu’il est Amour.

Que pensez-vous de la situation des chrétiens d’Orient ?  

Je n’émettrais pas un avis général. Depuis la France, on dit « les chrétiens d’Orient », mais cette appellation recouvre des réalités très différentes. Les communautés chrétiennes sont ancrées dans leur Pays.  Elles font partie de l’histoire. Il y a une forme de solidarité entre les chrétiens d’Orient, mais ce ne sont pas les mêmes rites ni les mêmes langues. Nous sommes devant une mosaïque de peuples. Sous les régimes laïcs, leur situation est à peu près convenable. En Egypte, malgré les attentats, il y a 15 à 20 millions de coptes sur une population de 100 millions d’habitants. C’est la communauté chrétienne la plus nombreuse, mais sa vie est difficile. Pourquoi ces tensions ? Je ne rendrais pas les musulmans responsables dans leur ensemble. Je me souviens d’un temps où les communautés vivaient en bonne harmonie. Deuils, mariages, pâtisseries, on participait aux fêtes les uns des autres. Personne ne parlait religion. Et puis, il y a eu le choc pétrolier et une première vague d’immigrés égyptiens vers les pays du Golfe ; ils ont fait souche, tout en revenant dans leur pays d’origine, avec les us et coutumes des Pays du Golfe. Par exemple, en Egypte, il n’y a jamais eu de niqab, tout juste le foulard pour les femmes les plus pieuses. Le niqab est un vêtement culturel saoudien, qui a été introduit aujourd’hui en Egypte, sous le couvert de cette interprétation rigoriste de l’islam qu’est le wahhabisme.

Et que pensez-vous de ce qui se passe en France ?  

Pour moi, ce sont les élites françaises qui ont présidé aux destinées du Pays depuis 1981 qui sont responsables On a d’abord l’immigration de peuplement, via le regroupement familial. En même temps les mécanismes économiques qui auraient dû favoriser l’intégration sont attaqués, et sur le plan économique et aussi à travers la diffusion par ces élites justement d’une image détestable de la France. On ne fait que parler, à ce moment-là, de la France moisie, de la France rance. La destruction du creuset français s’opère à la fois par le quantitatif et par le qualitatif. Quantitativement, on assiste à une massification de l’immigration, en particulier dans certaines régions ou certains quartiers. Qualitativement, c’est la destruction de ce que l’on pourrait appeler l’idée française, de la beauté française qui empêche les nouveaux arrivants de s’intégrer. On ne s’intègre pas à rien et aujourd’hui la France devient un hall de gare. Je vais vous donner deux chiffres : 20 % des jeunes qui s’engagent dans l’armée française sont des Français musulmans ; et 20 % des Français qui partent faire le djihad sont des Français convertis. Qu’est-ce que cela signifie ? Que le cœur de la société est incapable de produire du sens. Du coup, les Français de souche, eux aussi, sont perdus. On leur a interdit leur drapeau et leur pays, ils s’en cherchent un de substitution.

Comment formulez-vous ce malaise culturel ?  

La politique de la terre brûlée, pratiquée par les élites issues de Mai 68 et arrivées au pouvoir en 81, provoque un malaise identitaire chez tous les Français, mais il est d’autant plus fort chez des Français qui le sont depuis peu de temps et qui parfois vont se trouver dans une situation de sécession. Normalement, depuis des siècles, on peut dire que la France a transmis la France. Et puis une élite a décidé que la France n’était plus la France et ceux qui devraient être les récipiendaires de la France lui demeurent comme étrangers.

Il y a dans ce malaise quelque chose de spirituel ?

Les besoins de l’âme n’ont pas disparu parce que vous avez décrété leur disparition. Il y a certes une entreprise, qui  a commencé par la philosophie libertaire dans les années 70 et qui fait jonction avec l’idéologie libérale des années 80. Son objectif est d’horizontaliser les gens. Le repère orthonormé classique, avec l’horizontale et la verticale disparaît au profit du seul axe horizontal. Je parle de repère orthonormé, mais c’est la croix finalement, ce repère, qui symbolise l’être humain dans sa double dimension, horizontale et verticale.

Venons-en au Front national, maintenant, qu’est-ce qui n’a pas marché dans cette élection présidentielle ?  

La modélisation du propos est essentielle. Il faut être pédagogue. C’est tout ce que je viens de vous dire qui permet de parler de « fierté française » et, comme nous le disons dans le programme, « d’une France qui transmet et se transmet ». Il y a le même genre de constat à faire sur la question européenne, car l’Opposition au mondialisme que nous incarnons marche sur deux jambes, la jambe identitaire et la jambe souverainiste. Notre projet, sur cette double base, est majoritaire dans le pays. Ce n’est pas lui qui pose problème, c’est son explication ou son défaut d’explication aux Français.

Pourquoi êtes-vous aujourd’hui pour la sortie de l’euro ?  

Cela ne date ni d’aujourd’hui ni du Front national, puisque j’ai soutenu une thèse en 1999, qui militait déjà contre la monnaie unique. À l’époque, on agitait ces idées à la Fondation Marc Bloch, dont j’ai fait partie. Aujourd’hui, d’abord, tout le monde fait le constat que la zone euro ne marche pas et personne ne vous dira le contraire. Le projet européen est en danger. En fait, nous sommes au milieu du gué et le statu-quo n’est pas possible. Il y a deux berges pour sortir des rapides dans lesquels nous nous noyons. Mais n’en sortons pas trop vite. Voyons d’abord quelle est la situation et d’où peut provenir la noyade.

Expliquez-vous…  

Les pays de la zone euro ont des cycles, des structures et des performances qui ne sont pas les mêmes entre eux. Autrefois, les déséquilibres entre pays européens se résorbaient par les variations de chacune de leurs monnaies. L’Allemagne cumulait les excédents ? La France cumulait les déficits ? Eh bien ! Le mark allemand s’appréciait plus cher que le franc français et l’excédent commercial de l’Allemagne baissait au fur et à mesure que le mark montait. Et inversement, la santé commerciale de la France s’améliorait au fur et à mesure que le franc se trouvait dévalué par rapport au mark. Aujourd’hui, nous avons rigidifié ces stabilisateurs économiques qu’étaient les monnaies. Résultat : les pays en excédents (l’Allemagne et l’Europe du nord) sont enfermés dans une spirale excédentaire autoentretenue., dont ils ne peuvent pas sortir. Et les pays déficitaires, à l’inverse, connaissent une logique baissière que rien ne peut corriger. Les écarts entre les pays de la zone euro vont donc se creuser toujours davantage…

Mais Emmanuel Macron dit le contraire ?  

Macron effectivement nous dit : on garde l’euro et l’on va trouver d’autres outils pour résorber les déséquilibres entre les pays européens. Cet outil macronien, cela va être le budget fédéral et l’impôt européen, qui, dans la théorie, permettrait des transferts budgétaires, les pays riches donnant plus, par hypothèse, et les pays pauvres, moins. Il faut reconnaître que tous les pays fédéraux fonctionnent de cette façon, à commencer par les États-Unis, avec leurs 50 États. En Europe, un budget fédéral semble impossible. Il faudrait que les Allemands et les pays du nord acceptent de mutualiser leurs bénéfices, de partager leurs richesses. Or le consentement à l’impôt n’existe qu’à l’intérieur d’un cadre national. Jusqu’à nouvel ordre, les États-Unis sont une nation, pas l’Union européenne. On ne peut pas forcer un Allemand à se sentir solidaire avec un Portugais. Il y a déjà eu des unions monétaires en Europe, l’Union latine à la fin du xixe siècle, l’Union scandinave au début du xxe. Elles n’ont jamais fonctionné, parce que pour qu’un budget ou une monnaie fonctionne, il faut d’abord une unité politique.

Ne peut-on pas dire que l’Allemagne aide l’Europe à se construire ?  

Les autres pays lui ont réclamé de l’aide. Elle n’a jamais voulu. On garde en mémoire ce moment, en 2013, où François Hollande a demandé à Angela Merkel de constituer des eurobonds, c’est-à-dire des titres européens qui auraient permis de mutualiser la dette de 2008. La chancelière a refusé tout net. Vous me direz : elle y viendra comme l’Allemagne est venue à l’euro… Eh bien ! Elle y viendra peut-être, mais ce sera, politiquement, à ses conditions, en continuant à matraquer les pays pauvres, comme cela s’est vu en Grèce. Il y aura d’autres Grèce et l’on ajoutera ainsi un problème à un autre…

Pour vous, puisqu’un budget européen est impossible, il faut sortir de l’euro le plus vite possible, pour retrouver ce que vous appelez le stabilisateur monétaire ?  

Je ne dis pas cela. Il faut avant tout prendre conscience que l’euro est virtuellement mort et actuellement mortifère…    

Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarn

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