« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

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Outrage à Président

La démission du général Pierre de Villiers (photo), qui était CEMA pour toutes les armées françaises depuis trois ans prend des proportions que l’on n’imaginait pas, non seulement parce que les Français aiment leur armée plus qu’on ne le dit, mais parce qu’Emmanuel Macron accomplit là son premier acte personnel de gouvernement…

La France est un pays qui a été créé par son armée et qui n’a jamais existé sans elle. Le roi Charles VII, ex-petit roi de Bourges, celui qui a laissé tomber Jeanne d’Arc si lâchement après qu’elle lui ait rendu sa Couronne en l’emmenant à Reims, a été appelé Charles le Victorieux, car il a été le premier roi d’Occident à entretenir, aux frais de ses sujets, une véritable armée de métier. La chevalerie française avait sans doute assez montré à Crécy, à Poitiers ou bien à Azincourt, qu’elle était avant tout une machine à perdre. Charles a voulu faire appel non pas à sa noblesse, pas non plus à ces hommes de main des grandes compagnies qui déchiraient son Royaume au point qu’on les appelait les écorcheurs, mais à des soldats qu’il paierait lui-même pour leur interdire de piller la population. Premier roi militaire, Charles VII ouvre la route à une longue série de rois glorieux sur les champs de bataille. Quant à la Révolution, la puissance de l’artillerie dont elle héritait du roi Louis XVI a suffi pour tenir en respect le reste de l’Europe. Napoléon achèvera la démonstration : s’il se fait sacrer à Notre-Dame de Paris, c’est parce qu’il n’y a pas de pouvoir en France qui ne soit militaire. La défaite de Mai 40, défaite d’armées mal préparées par des politiques inconscients du danger hitlérien et par des généraux sans aucun génie, la France en fait jusqu’aujourd’hui une affaire personnelle… L’image de De Gaulle hante les mémoires et l’on a entendu plusieurs fois cette imbécillité à propos de la démission du général de Villiers (les journalistes se repassent toujours leurs âneries en boucle) : « C’est la première fois depuis le mois d’avril 1961 qu’il y a une opposition entre le pouvoir en France et son armée ». Curieuse remarque ! C’est assez dire que l’affaire de Villiers n’est pas un simple fait divers, comme la République aime tant les raconter. Il y a un terrible malaise, et cela bien que le geste du général de Villiers (le général Faugère l’explique parfaitement pages 24 et 25) n’ait absolument rien à voir avec celui du « quarteron » des généraux putschistes de 1961. Eux justement, cadres de réserve, avaient repris du service pour défendre contre l’autorité politique, ce qu’ils estimaient être leur honneur et celui du pays. Rien de tel de la part du général de Villiers, qui explique justement le contraire : à 61 ans, il part à la retraite et se justifie : « Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays. Par conséquent, j’ai pris mes responsabilités en présentant, ce jour, ma démission au Président de la République, qui l’a acceptée ».La question dépasse largement la personne de l’ex-CEMA. On peut dire que chaque officier a pu se sentir personnellement atteint par le « recadrage du chef de l’État », inutilement solennel et vexant. Ce dernier a manifestement eu peur d’une mise au point privée avec une personnalité aussi affirmée que celle du général de Villiers, et c’est sans doute pour se protéger qu’il a donné à son discours le maximum de publicité et de solennité. Résultat ? Pour son départ de l’État-major, le général de Villiers a été applaudi par 1 000 soldats et officiers d’active debout pour une haie d’honneur. La tâche de son successeur, François Lecointre, ne sera sans doute pas facile. Sans le savoir, sans le comprendre, le chef de l’État a touché à une légende, et « en même temps » (comme il aime à dire lui-même) il s’est attaqué à un symbole et au fond il a perdu. Il a perdu pour la deuxième fois, car la démission de Sylvie Goulard, après 34 jours au ministère des Armées, était un premier couac qui aurait dû être évité. On peut se demander avec le recul si la promptitude de la ministre MODEM à démissionner ne vient pas aussi du sale rôle que l’on aurait cherché à lui faire jouer dans la diminution inexorable de l’armée française. En tout cas, la ministre et le CEMA, cela fait beaucoup de dysfonctionnements pour celui qui ne perd pas une occasion de dire : « Je suis votre chef ». Il y a anguille sous roche !Les politiques à la curéeLes politiques, qui, pour une fois, de droite à gauche, sont unanimes à soutenir le général de Villiers, malgré le silence gêné du mouvement En marche où l’on a donné une consigne de silence sur cette affaire, pressentent dans cet imbroglio inattendu (dont le président aurait pu et aurait dû faire l’économie) quelque chose comme le climat du futur règne d’Emmanuel Premier. Marine Le Pen a eu la meilleure formule : « Confronté à la droiture du général de Villiers, Emmanuel Macron rétablit le crime de lèse-majesté au prix de la sécurité des Français ». Pour Nicolas Dupont-Aignan, « c’est un grand chef limogé par un petit chef ». Mais à gauche, Jean-Luc Mélenchon est tout aussi précis dans ses attaques « C’est une blessure profonde, qui va avoir une onde de choc pendant longtemps » estime-t-il. Au-delà du combat politique qui se dessine pour la rentrée, sur la loi travail et les mesures d’austérité qui ne touchent pas que le ministère des Armées et qui atteignent d’autres ministères régaliens, on sent une mise en question personnelle du Chef de l’État, qui en a décidément fini avec l’état de grâce médiatique : « Emmanuel Macron est un peu dans l’ivresse des cîmes. Quelque chose ne tourne pas rond dans sa manière d’exercer l’autorité ». Bientôt la fin des « coups de menton » présidentiels ?La méthode Macron est à la vérité de plus en plus claire. Il l’essaie d’abord sur l’armée. Il l’appliquera vraisemblablement dans d’autres domaines. À propos du nouveau CEMA, François Lecointre, qui depuis 2011 attend son heure comme chef militaire du cabinet du Premier ministre (où il a connu Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et finalement Edouard Philippe), le président a dit à Serres Chevalier où il assistait à une étape du Tour de France : « Il aura non pas un budget à défendre, car c’est le rôle de la ministre et c’est comme cela que les armées fonctionnent bien ». Le programme est simple pour le nouveau : « Combats et tais-toi » et surtout ne t’occupe pas des moyens, ce n’est pas ton rôle. Je vous ai parlé naguère du cynisme de ce président beau gosse. En voilà encore un exemple magistral.Trois livres, trois photos de luiC’est la question que nous avons sur le bout de la langue après cette histoire qui ne passera pas, comme dit Mélenchon : qui est Emmanuel Macron ?Pour le savoir, on peut peut-être réfléchir aux trois livres qu’il a fait placer sur son bureau avant la photo présidentielle. Ces trois livres correspondraient bien me semble-t-il à ce que peut être le ça, le moi et le sur-moi d’Emmanuel Macron. Commençons par le sur-moi, c’est le plus facile. Dans quelle image du père se reconnaît notre jeune Président : le livre ouvert sur son bureau, ce sont les Mémoires de guerre du général de Gaulle, dont on peut faire le père politique putatif, l’idéal politique d’Emmanuel. Pas très original ? Sans doute. De Gaulle, l’homme de la Ve République, un président français ne peut pas y échapper : c’est la figure du Père, pour ce jeune homme qui a renié ses parents quand il était enfant. Il est d’autant plus gaullien qu’il n’a jamais été gaulliste. C’est au grand Charles qu’il doit l’autorité dont il a fait montre face au général de Villiers. De Gaulle a dû en faire autant : limoger un chef d’État-major trop Algérie française par exemple en son temps ? Cela aurait été pour le Général un plaisir de fin gourmet, que doit goûter aussi son jeune émule.Il y a sur le bureau de la photo présidentielle deux livres fermés. Normal : le sur-moi, c’est ce qu’on montre, ce qui est avouable. Mais le moi ? Qui est ce jeune homme devenu président avant ses 40 ans ? Le Rouge et le Noir de Stendhal peut nous donner une idée de la personnalité (de l’ego) du président. Julien Sorel, ce jeune homme fidèle à ses deux amours, ce jeune homme qui aime une femme plus âgée que lui (dans le rôle de Madame de Rênal, Brigitte Macron), ce jeune homme pressé d’arriver et prêt à tout pour cela, c’est à lui que s’identifie sans doute notre Président, en posant ce livre fermé sur sa table de travail.Enfin il y a le troisième livre, et à travers ce troisième livre, le Ca, l’inconscient trouble et qui cherche à se représenter à lui-même. Emmanuel Macron a choisi Les nourritures terrestres d’André Gide, un livre fait de leçons et d’impératifs, qui pourraient se résumer tous dans cet impératif dans lequel on reconnaît notre modernité : quoi qu’il arrive, profite ! Sous la plume de Gide, cela donne par exemple : « Que l’important soit dans ton regard, non dans la chose regardée ». Beaucoup plus subversif que Freud, n’est-ce pas ? Vous voyez les yeux du président ; on ne voit que cela. Il vous regarde, fixement, son regard est la chose la plus importante du monde, mais lui, conformément au conseil gidien, il ne vous voit pas. Pour cet opus de Gide, les bonnes phrases ou les bonnes pages, les citations égolâtres de ce manuel d’égolâtrie sont tellement nombreuses et tellement fortes que l’on comprend le choix non-dit du Président, lorsqu’il choisit ce livre fermé : les nourritures terrestres. Qui est Emmanuel Macron ? C’est bien difficile à dire. Mais le président, avec ces trois livres, a voulu jouer aux charades avec nous : Mon premier est un général antimilitariste sauveur de la patrie. Mon deuxième est un jeune homme très doué et un peu trop pressé. Mon troisième est la satisfaction de tout mon être. Et mon tout, dit Macron ? Mon tout c’est moi. 

Alain Hasso

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