« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Abbé de Tanoüarn

Rédacteur en chef

Entretien avec Guillaume Bernard

Branle-bas de combat au Front national. Florian Philippot démissionne. La perspective du Congrès, en mars 2018, précipite une recomposition interne mal pensée, qui pourrait ne rien changer à l’intérieur du Parti, au risque que d’autres tirent leurs marrons du feu…

Florian Philippot quitte le Front national… Cela va tout changer selon vous ?

Je crois surtout à une double manœuvre. Marine Le Pen a été intransigeante avec l’association Les Patriotes pour presser son président vers la sortie du Front national. Objectif : sauver sa tête à elle au Congrès de Mars 2018 en désignant un coupable de l’échec à la Présidentielle. De l’autre côté, en faisant monter la mayonnaise autour du « Couscousgate » de manière particulièrement caricaturale, Florian Philippot montre qu’il cherche à partir avant le Congrès de 2018 où lui et un certain nombre de ses amis risquaient de ne pas recueillir les suffrages des militants, qui souvent estiment qu’on doit lui attribuer, à lui d’abord, l’échec de Marine à la Présidentielle. D’une certaine façon, ils restent objectivement de connivence l’un avec l’autre, Florian et Marine, leurs intérêts objectifs convergent, l’une pour sauver sa tête à la direction du Parti l’autre pour ne pas avoir de possibles désillusions aux élections internes. Mais tout cela ne résout rien au niveau de la stratégie du Parti, car la ligne de Philippot est celle de Marine Le Pen. Ceux qui espèrent une réorientation du discours frontiste risquent d’être déçus. Évidemment, puisque c’est la ligne qui a perdu, la logique voudrait que Marine Le Pen soit elle-même remise en cause à la tête du Parti, mais, en mars prochain, d’après les échos que j’ai, personne n’osera se présenter contre elle à la direction du Front national. Il y a d’ailleurs un certain nombre de conditions réglementaires (deux ans de carte et 10 % des secrétaires départementaux) qui empêcheraient certains, comme Robert Ménard, de se présenter. La seule qui pourrait se présenter contre sa tante, c’est Marion, mais elle est partie. Ca m’étonnerait qu’elle revienne aussi vite. Le Front national, pour répondre à votre question, va être englué dans le culte du chef et ne parviendra pas à changer vraiment.

Pourquoi les officiels du Parti, qui auraient intérêt, ne serait-ce qu’électoralement, à un changement de ligne, répètent-ils qu’il n’y a pas de problème de fond et que le départ de Florian Philippot est juste un problème de personnalité, un problème d’ego ?

Ils sont pris dans la prégnance du Parti et dans sa capacité à faire des élus, par l’étiquette qu’il fournit. La plupart ne sont pas capables de se faire élire sur leur propre nom, il leur faut cette validation du Parti. Or Marine ne veut pas de changement de ligne…

Il faut donc dire adieu à la perspective d’une recomposition ?

Vous savez tout le monde parle de recomposition, à droite. En réalité les Partis politiques sont dans un état de décomposition qui continue d’avancer. Le problème à LR est le même qu’au Front : égocentrisme des personnalités, inconstance des positions et flou de la ligne doctrinale. C’est pour cela d’ailleurs que même si le président Macron a perdu son aura depuis longtemps, il garde une force politique extraordinaire, il est celui qui a brisé le Parti socialiste, qui a coupé LR en deux. Et le Front national n’est pas en meilleur état. La démission de Philippot ne suffira pas à lui permettre de retrouver sa dynamique électorale.

Que va faire Florian Philippot, quelles sont les cartes qui restent dans son jeu ?

Il est certain que sur la ligne qu’il partage avec Marine Le Pen, il serait meilleur que Marine a priori. Mais en réalité, Philippot et ses amis ne pèsent rien dans l’électorat. Ils gardent cependant deux cartes maîtresses me semble-t-il : d’abord, les médias peuvent les maintenir en vie artificiellement contre le Front national. Il y a une deuxième carte qui repose sur un énorme paradoxe : Philippot était jusque-là le principal obstacle à la constitution d’alliances entre le Front national et d’autres forces politiques. Mais maintenant qu’il n’est plus au Front, son pedigree personnel peut lui permettre d’envisager des alliances, dont le Front se trouverait mécaniquement exclu par sa présence. Y aura-t-il un rapprochement avec Nicolas Dupont-Aignan ? Ce dernier a rencontré Marine et aussi Robert Ménard. Mais il n’est pas inimaginable, au nom de leur gaullisme convergent, que Philippot fasse affaire avec le président de Debout la France. Et dans cette alliance Philippot-NDA, il y aurait un vrai danger pour le Front national. Ce serait l’idée d’un Congrès d’Epinay à droite, qui créerait une dynamique, proposerait un programme commun, marginaliserait le FN et siphonnerait ses voix, comme le PS avait siphonné les voix du PC naguère.

Par ailleurs, le départ de Florian Philippot ne va-t-il pas obliger Laurent Wauquiez à se recentrer ?

Laurent Wauquiez est vraiment une girouette politique, qui ne sait que préparer la tambouille électorale en vue de la prise de pouvoir. Il est dans le recentrage jusqu’au cou, pour maintenir ce qui reste de LR après la tornade Macron, quitte à provoquer le dégoût des électeurs.

Si l’on met de côté ce que j’appellerais votre scénario Epinay, qui est un scénario catastrophe, quelle est la personne qui garde des chances de réorganiser la droite ? Robert Ménard ? Dupont-Aignan ?  

Ce que pense Nicolas Dupont-Aignan au niveau national, on peut dire que Robert Ménard l’a fait fonctionner déjà au niveau local à Béziers, et tout dernièrement c’est ainsi qu’Emmanuelle Ménard a été élue : par l’union de toutes les droites. Le pari de NDA est donc réalisable. Le problème, c’est qu’il continue à raisonner en termes d’appareils politiques existants, qu’il cherche à juxtaposer. Il ne voit pas la déception des électeurs, qui ne croient plus ni aux politiques ni aux Partis qui leur servent de bannières. Ce qu’il faut, ce n’est pas une simple réorganisation des alliances : il en est là pour l’instant, NDA, et cela ne suffira pas. Il faut une véritable réorganisation du spectre politique, qui devrait se faire par la base. Regardez Macron : s’il a réussi, c’est qu’il est parti de la base.

Oui mais Emmanuel Macron pouvait compter sur son aura de financier. Il était – un peu comme DSK en son temps souvenez-vous – celui qui allait enrichir tout le monde, celui qui avait compris les ficelles du libéralisme mondial et pourrait permettre aux Français de continuer à consommer… Qu’est-ce qu’un homme de droite peut bien faire valoir auprès des électeurs ?

Il est vrai que la dynamique de l’homme de droite, ce n’est pas sa réussite personnelle ni l’idée que cette réussite financière personnelle serait contagieuse. L’homme de droite, il peut mettre en avant sa sincérité, son désintéressement, y compris en tenant des positions pro-vie qui le montreraient vraiment fiable, fidèle à ses valeurs. Un exemple de cette dynamique, je crois que l’on n’a pas fini d’entendre parler de cette personne, c’est l’élection d’Emmanuelle Ménard.

Vous pensez en tout cas que le Front national est électoralement fini ?

Non pas du tout. Vous savez la politique est faite d’interaction. Une force politique n’existe pas d’abord par elle-même, mais par rapport à ses concurrents. Que peut-il se passer demain ? Bien malin qui hasarderait un pronostic.

Que préconisez-vous ?

Le seul moyen pour la droite de résister à l’onde de choc Macron, qui a déjà pulvérisé le PS, c’est d’opérer (et sans doute par la base) une véritable clarification doctrinale, pour élaborer un discours non seulement qui se tienne mais qui s’assume, pour ne pas être dépendant des autres courants. Ce discours – c’est ce que j’ai appelé ailleurs le mouvement dextrogyre, devrait mécaniquement devenir le discours fort, celui que l’électorat attend. Je crois aussi, je l’ai dit souvent, que pour que la droite puisse se recomposer, il faut des gens des deux rives du fleuve. La convergence doctrinale est certaine. Il faut maintenant le courage politique, pour décloisonner l’électorat et envisager une organisation de personnes provenant des différents courants constitutifs de la droite. Regardez : pourquoi les partisans de Marine Le Pen ne sont-ils pas aller voter Jean-Frédéric Poisson à la Primaire de la droite ? C’est absurde. Et pourquoi les électeurs de Poisson ne votent-ils pas FN dans les élections locales où leur Parti n’est pas représenté. C’est incohérent !

Quel peut être le rôle de la Manif pour tous ?

Un mouvement trans-partisan pourrait effectivement beaucoup pour créer l’électro-choc qui permette l’union des droites, mais j’en veux énormément à Sens commun. Avec les meilleures intentions du monde, ces gens qui ont fait le choix de LR ont enfermé le mouvement dans un Parti. Ils ont manqué d’imagination en cloisonnant un élan qui aurait pu demeurer vraiment trans-partisan. Ils ont préféré l’entrisme. Mais quand on fait de l’entrisme, on a toutes les chances de se faire manger. C’est le parti qui broie. Regardez tous ces trotskistes durs qui sont devenus de bons petits socio-démocrates. C’est l’histoire de Sens commun.

Au fond, vous en appelez comme beaucoup à un nouveau conservatisme ?

La clarification des enjeux politiques de l’heure devrait amener effectivement à la création d’une grande force conservatrice. Mais attention : il y a conservatisme et conservatisme. C’est la dernière grande idée à la mode mais ce mot cache deux sens différents : soit le conservatisme conserve le désordre libéral, qui en mimant le bon sens politique, permet à la modernité de durer, en empêchant la renaissance des idées classiques. Soit le conservatisme est un véhicule, qui permettrait le redéploiement d’une pensée vraiment réactionnaire…  

Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

Connexion ou Créer un compte