« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

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Abbé de Tanoüarn

Rédacteur en chef

Pour la liberté de l’École - Entretien avec Virginie Subias Konofal 

Quelle est l’origine de la Révolution pédagogique que nous vivons aujourd’hui ?   

La grande question c’est : l’Ecole est-elle un lieu de liberté et de libération ou un lieu de recentrement sur une communauté au nom d’une citoyenneté ? Ce dilemme apparaît dans toute sa force avec la Révolution française, à travers l’idée de nation. Au nom de la nation, chaque humain est pris comme membre d’un immense engrenage dont il doit être une pièce calibrée. L’enfant apparaît comme devant vivre au service de la société dans laquelle il reçoit une éducation pour devenir qui agriculteur, qui boulanger ou artificier, selon les besoins collectifs. On trouve déjà cela chez certains penseurs des Lumières, comme Voltaire, par exemple, qui refusait que l’on donne une éducation à ses paysans, parce qu’ils n’ont besoin que de savoir cultiver la terre. Nous avons une lettre de Voltaire à Damilaville, qui est très significative en ce sens : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être ». La science qu’il pourrait acquérir le ferait sortir de sa condition et l’empêcherait de produire ce qu’il doit produire. La logique de Voltaire est celle du profit : « Si vous faisiez valoir une terre et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis »…

Mais n’y a-t-il pas un élan vers la science durant la Révolution française ?

Il y a chez un Condorcet une vision moins utilitariste, mais c’est un courant très minoritaire. Condorcet estimait qu’il fallait donner à tous un savoir spéculatif très élevé, dans une sorte d’éducation permanente. Il a fait de cette conviction cinq traités sur l’éducation, mais cela ne débouche sur rien, sa perspective était utopiste. Les Lakanal, les Le Pelletier de Saint Fargeau, les Daunou qui rédigent des projets de loi sur l’éducation, au nom de la Révolution sont beaucoup plus utilitaires. L’école pour eux doit être le miroir de la société républicaine en devenir. Il n’y a pas chez eux cette idée que chaque individu doit recevoir un savoir académique complet.

Cette idée que chaque individu doit être instruit existait-elle avant le siècle des Lumières ?  

Évidemment. Au XVIIe siècle, c’est l’objectif des jésuites aussi bien que des jansénistes, de donner à chaque individu ce qui est nécessaire à son salut. L’École alors n’est pas un objectif en soi. C’est un outil pour la réalisation spirituelle des individus. Chez les frères des Écoles chrétiennes aussi, c’est frappant : l’enfant est le véritable but de l’éducation et saint Jean-Baptiste de La Salle insiste beaucoup sur la relation interpersonnelle entre maîtres et élèves, sur l’idée aussi que les maîtres sont au service des enfants.Votre vision n’est-elle pas trop binaire : le méchant État et la gentille Église…  Les choses sont évidemment plus compliquées que cela : au xixe siècle, on perd le souci de l’individu qui était au cœur de la liberté pédagogique des jansénistes par exemple. Pour l’État, l’École doit être au service de la société. Mais, à ce moment-là, l’Église va en quelque sorte entériner cette vision utilitaire, à son propre profit, en considérant l’École comme un bon outil pour rechristianiser la société après ce qui a été pour elle le drame de la Révolution française. L’École devient alors le lieu par excellence de la politisation de la société.  

Contre cette politisation, le problème de l’École, c’est celui de la liberté d’enseignement ?  

La liberté des parents, qui permettait d’instruire les enfants d’une façon qui respecte leur milieu ou leur culture d’origine, n’est plus prise en compte. L’État prenant le monopole de l’École, prétend savoir mieux que les individus eux-mêmes en quoi consiste leur liberté. Il n’y a plus qu’une version, unitaire et uniforme, de ce qui doit être enseigné… C’est le début d’un processus de déclin de l’École, qui se renforce au fur et à mesure que s’affirme cette volonté d’uniformisation. L’École aujourd’hui ne va pas mal. Elle fait ce qu’elle avait prévu de faire depuis le début du xxe siècle.

Vous voulez dire qu’il n’y a plus de liberté pédagogique ?

À l’époque des jansénistes, le commentaire de texte était un travail qui permettait à l’élève d’indiquer son interprétation personnelle des textes. Aujourd’hui, il n’y a plus d’interprétation personnelle. On demande aux élèves d’appliquer des grilles d’interprétations déjà fabriquées, dans des itinéraires entièrement balisés. Ce qui compte n’est pas tant ce qu’ils ont à dire que la manière dont ils disent ce qui doit être dit sur un texte. Avant on mettait l’accent sur l’obéissance physique, pour favoriser la liberté de la pensée. Aujourd’hui, on laisse pleine liberté à l’élève au plan physique, sur son habillement voire sur son attitude ; mais on bride sa façon de penser de sorte qu’il n’a le droit de répéter que « les bonnes idées » et qu’ils ne doit pas se poser certaines questions en dehors de ce champ.

Propos recueillis par l’abbé Guillaume de Tanoüarn

Histoire incorrecte de l’école, Éditions du Rocher, 166 p., 12,90 €.

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