Abbé de Tanoüarn
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La Guerre mondiale à petits pas
« Qui bouge une pierre change la mer » disait Pascal. Ce dicton se vérifie de façon saisissante dans les relations internationales : nous sommes plus que jamais interdépendants et ne pouvons pas faire semblant de ne pas être concernés. Romain Koller connaît parfaitement le Proche Orient. Il réfléchit avec nous sur ce chaudron dans lequel se prépare l’avenir du monde.
Que se passe-t-il en ce moment dans le district de la Ghouta orientale ?
La Ghouta est au sens large un quartier de la ville de Damas, un faubourg si vous voulez. Les médias nous présentent les choses à l’inverse de ce qu’elles sont. Au lieu de considérer que ce sont les extrémistes musulmans, qui se sont emparés de plusieurs points névralgiques dans ce district et qui utilisent comme otage les populations civiles, on nous serine soir et matin l’inverse. On voudrait nous faire croire que c’est le gouvernement légitime de Bachar el Assad qui a « mis le siège » sur ce quartier. Les milices islamistes Jaysh al-islam, Ahrar al-Cham, sans parler du Front al Nosra dont tout le monde sait qu’il s’agit d’une branche d’Al Qaïda, ces terroristes se sont installés sans s’être fait inviter. Ils font régner la terreur dans la population. Ils tiennent grâce à l’argent de l’Arabie saoudite que leur distribuent gracieusement les services de pays occidentaux CIA, MI 16 et DGSE. Chaque jour, ils envoient des roquettes, en particulier sur les quartiers chrétiens de Damas. Les Damascènes ne sont pas des agresseurs, ils se défendent, comme en 2013. À l’époque déjà, les Puissances avaient failli intervenir militairement. Il a fallu tout le flegme de Vladimir Poutine pour les en empêcher. À l’époque, Poutine avait proposé que soient détruites toutes les armes chimiques dont disposait la Syrie, en présence d’experts internationaux. Il a obligé les États-Unis à accepter ce marché. Il faut souligner par ailleurs que Barack Obama n’avait pas obtenu le feu vert du Congrès pour l’Intervention. Et pas d’avantage David Cameron en Angleterre l’accord des deux Chambres. L’un et l’autre avaient donc gardé quelques scrupules, ce qui n’était pas le cas de la France de François Hollande, belliqueuse comme jamais. Aujourd’hui, ce sont les mêmes éléments de langage qu’en 2013, la même invocation de douteuses attaques chimiques (officiellement démenties par Serguei Lavrov), les mêmes risques d’intervention internationale contre la Syrie, et les mêmes enjeux, je veux dire la fin de cette guerre en Syrie où les habitants sont pris en otage.
Pourquoi cette bataille de la Ghouta paraît-elle si importante pour les protagonistes ?
Aujourd’hui Bachar el Assad contrôle 80 % de la population syrienne, qui lui est très largement favorable. La chute de la Ghouta représente la sécurité de Damas et le contrôle de la quasi-totalité des populations. Si la Ghouta tombe l’argumentaire de la Coalition s’effondre. Tout va dépendre maintenant de la rapidité de l’offensive des loyalistes. Soit ce district de la Ghouta tombe rapidement entre leurs mains, soit ils en sont empêchés et les États-Unis décrètent un bombardement de la Syrie, au nom de découvertes de prétendus massacres aux armes chimiques. Remarquez que pour les États-Unis la bataille est tellement importante qu’ils n’ont pas hésité récemment à s’en prendre à des mercenaires russes de l’armée de Bachar. Ils ont tué des Russes. La tension entre les deux pays est pratiquement à son comble. Poutine a des nerfs. Il ne réagit pas, mais son aile droite et le pouvoir militaire en Russie le lui reprochent.
On constate aussi qu’il y a deux dispositifs humanitaires différents…
Il y a celui de la Coalition, qui cherche avant tout à travers les 30 jours de trêve qu’ils veulent imposer, à empêcher les avions de voler (en particulier dans les fameuses zones de non-survol) pour que les Rebelles (comme disent les journalistes) ou plutôt les terroristes (dans la réalité des faits) puissent se redéployer… Vladimir Poutine propose lui des heures de trêve dans la journée et l’ouverture de corridors humanitaires. Hélas les terroristes en profitent : ils tirent sur les fuyards qui leur servent habituellement de bouclier humain et qu’ils ne veulent pas voir rejoindre le reste de la population. La grande question est de savoir qui va gagner cette bataille de la Ghouta et les dispositifs dits humanitaires sont en fait autant de moyens de mener la guerre. Serguei Lavrov a dénoncé cette hypocrisie de la Coalition la semaine dernière à Genève. Il a souligné par exemple que des hélicoptères américains avaient transporté des terroristes pour leur sauver la mise.
Qu’en est-il des rapports de force, dans le monde, entre les États-Unis et la Russie ?
On peut dire que la Syrie est l’épicentre d’un conflit largement mondialisé. Les États-Unis le livrent au monde pour garder leur hégémonie. Ajoutons, aussi bien pour l’Iran que pour la Syrie, qu’Israël redoute toute autorité forte dans la région. C’est ainsi que les terroristes éliminés par les Russes sont remis en selle par les Américains. La Russie barre la route à ce que la doctrine officielle appelle « l’exceptionnalisme » des Américains. Sont-ils encore la nation exceptionnelle et pour combien de temps ? Ils ont confiance dans leurs armes. Souvenez-vous que Reagan avait gagné la guerre des étoiles contre la Russie de Brejnev et que le régime communiste s’en est trouvé profondément déstabilisé. Les États-Unis restent sur ce rapport de force, massivement à leur avantage. Ils sont également les spécialistes de la désinformation et de la guerre médiatique. On sait maintenant que Saddam Hussein ne disposait d’aucune arme chimique. C’est pourtant ce qui a justifié la guerre d’Irak, malgré l’avis négatif du Conseil de sécurité de l’ONU. Ils utilisent exactement les mêmes procédés en ce moment, au point que Sergueï Lavrov a été contraint de déclarer publiquement que le régime de Bachar n’avait pas d’armes chimiques. Quand ils s’emparent, eux, de Raka ou de Mossoul les journalistes n’ont pas le droit d’être sur place et il y a des milliers de morts. Pour l’instant, même l’ex-marchand de meubles résidant à Londres, Rami Abdel Rahmane, le fameux directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, n’en a compté que quelques centaines dans la Ghouta. Les États-Unis, en tout cas ne se gênent pas pour fabriquer des fake-news en permanence. Mais le système est de moins en moins crédible dans l’opinion internationale.
Comment la Russie réagit-elle ?
La Russie est obligée de constater une véritable politique d’encerclement à son encontre. Cela continue de plus belle. Récemment sous couvert de livraison de matériels antichars à l’Ukraine, on lui a fourni des armes offensives léthales. Dans les Balkans, on presse la Serbie et la Macédoine, alliés traditionnels de la Russie, pour qu’ils rejoignent l’OTAN. Il en est de même avec la Bosnie Herzégovine. Par ailleurs, les Américains ont une nouvelle doctrine nucléaire. Ils entendent désormais laisser s’éteindre, entre 2019 et 2021, tous les traités de non-prolifération d’armes nucléaires, en étendant le bouclier anti-missiles et de fait en donnant l’arme nucléaire à la Pologne à la Tchéquie et à quelques autres pays de l’Est européen. Ce sont des aménagements nucléaires tactiques antirusses. Serguei Lavrov a dénoncé récemment la présence dans ces dispositifs de missiles intercontinentaux balistiques.
Et Poutine ?
Il a récemment tenu devant le Parlement russe l’équivalent de ce que les Américains appellent le discours sur l’État de l’Union. Il a rappelé la nécessité d’un développement économique qui passe par l’autonomie de la Russie. Il est revenu sur l’importance de la politique nataliste. Et il a parlé une demi-heure de la situation militaire, en soulignant qu’aucune hégémonie n’était plus possible dans le monde car l’hégémonie signifie un centre de décision unique et que techniquement ce ne pouvait plus être le cas. Il s’en est pris directement aux États-Unis, leur déclarant en substance : « nous avons réussi à développer des armements qui dépassent largement vos boucliers antimissiles. L’équilibre de forces mutuellement destructrices n’existe plus. Nous avons des outils hypersoniques, à mac 10 ou mac 20 qui, passant par les Pôles sont capables d’atteindre leurs objectifs avant que vous ne nous ayez touchés, atterrissant sur leurs cibles à la vitesse de météores ». Pas la peine de vous expliquer qu’un tel discours est parfaitement inédit et qu’il manifeste bien l’extrême tension dans laquelle se trouvent les relations internationales.
Finissons ce trop court tour d’horizon par Israël…
Il y a un très grave problème de voisinage. Israël revendique le gaz et le pétrole découverts au large des côtes libanaises. L’accord signé entre le Liban, l’italien ENI, le français Total et le russe Novatek est remis en cause. Lindsay Graham, un membre de la Chambre des représentants, qui est en général bien informé, a révélé qu’Israël préparerait une attaque contre le Liban sud, officiellement pour lutter contre l’Axe chiite, officieusement pour réclamer sa part du gâteau…