« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Monde & Vie

Secrétariat Monde & Vie

Jusqu'au bout pour Vincent

L’affaire Vincent Lambert a connu une nouvelle étape, scandaleuse. Décisive ? Voire. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu, le 5 juin son arrêt affirmant la légalité de la décision d’un médecin, le Dr Eric Kariger, visant à priver ce tétraplégique en état de conscience minimale de nourriture et d’hydratation parce qu’il n’aurait pas voulu vivre dans cet état, et qu’il n’a plus – selon ce médecin – de relations avec les personnes qui l’entourent. Pour Viviane Lambert, ce « verdict »– comment ne pas la prendre comme tel, cette justification d’une condamnation à mort – est un coup dur. Mais à l’instar de ses avocats, Jérôme Triomphe (photo) et Jean Paillot, pour qui le combat pour Vincent « ne fait que commencer », Viviane garde l’espérance et elle ne lâchera rien. Il s’agit de sortir cet homme de 38 ans de l’univers carcéral où il se trouve aujourd’hui : une chambre d’hôpital fermée à clef de l’extérieur, où il ne reçoit pas les soins de confort et de kinésithérapie nécessaires à son état.

Quel est votre état d’esprit, au lendemain de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ?

Nous sommes scandalisés, nous sommes atterrés. Elle ouvre la porte à l’euthanasie. La CEDH n’est plus crédible. Cinq juges sur dix-sept ont donné leur opinion dissidente : ils ont qualifié l’arrêt d’« effrayant ».Mgr Ribadeau-Dumas, porte-parole de la Conférence des évêques de France, a déclaré que cette décision ne concerne que le seul cas de Vincent Lambert.

Partagez-vous son point de vue ?

Non, ça, c’est pour aveugler l’opinion publi­que. Aujourd’hui, c’est Vincent : pour d’autres qui sont dans son état, ce sera pareil. Je pense que les familles peuvent êtres inquiètes pour l’avenir de leurs enfants handicapés. Ceux qui se trouvent dans des centres hospitaliers ne sont pas du tout à l’abri de la même décision. Dans l’immédiat, on veut montrer que la décision ne concerne que Vincent, pour l’atténuer un peu, pour ne pas affoler les gens, mais ce serait trop beau. Pour moi, c’est de la mauvaise foi.

Viviane Lambert, vous espériez trouver à la Cour européenne des droits de l’homme, une oreille peut-être plus humaine qu’au Conseil d’Etat. Redoutiez vous quand même une décision négative ?

Au fur et à mesure de l’attente, je me suis préparée à tout. Mais nous avons une consolation : nous savons que ce n’est pas la Cour européenne qui peut décider d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent. Les juges avaient pour seule mission de dire si cela est conforme ou non à la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont opté pour la conformité. Mais nous savions déjà que nous pouvons, face à cette décision qui ne nous est pas favorable – ou plus exactement qui n’est pas favorable à Vincent – continuer de nous battre pour lui. Nous ne l’avons pas attendue pour préparer le terrain avec nos avocats. Et nous avons rencontré la nouvelle directrice du CHU Sébastopol de Reims, qui remplace le Dr Kariger, ainsi que le chef de pôle, et nous avons clairement indiqué que nous n’en resterions pas là. L’affaire Vincent Lambert n’est pas finie : depuis la décision du 5 juin, le CHU a fait une déclaration annonçant que la famille sera réunie pour recommencer le processus de fin de vie.

Quelle avait été votre impression lorsque vous avez rencontré les nouveaux médecins ?

J’étais très inquiète, puisqu’avec la nouvelle loi qui se profile, la loi Claeys-Leonetti, c’est le médecin qui décide seul – c’est lui l’unique chef, qui ne rend de comptes à personne. Le chef de pôle nous a dit qu’il souhaitait un « consensus ». Mais qui dit consensus, suppose l’unanimité. J’ai rétorqué que cela pouvait attendre longtemps… Et je lui ai posé la question qui est pour moi primordiale : quel est l’intérêt de Vincent ? C’est cela le plus important : Vincent ne reçoit pas les soins dont il a besoin. Quoi qu’il en soit, la personne qui touchera à Vincent, maintenant que le Dr Kariger est parti, nous l’attaquerons devant les juridictions pénales.

La CEDH a refusé de répondre sur les mauvais traitements dont Vincent est victime du fait de l’arrêt de la kinésithérapie, par exemple, tout comme elle a refusé votre requête de faire transférer Vincent dans une unité spécialisée pour les personnes en état pauci-relationnel où il trouverait le meilleur confort possible – et où une place l’attend.

Oui, nous n’avons même pas obtenu la possibilité de le transférer dans un endroit neutre, plutôt que de le laisser au CHU de Reims où on veut cesser de le nourrir. La nouvelle équipe de l’hôpital se trouve certes face à Rachel, son épouse, mais la situation a changé. Il faut tenir compte du fait que Rachel est partie. Nous sommes les plus proches de Vincent, ceux qui sommes effectivement là au quotidien. La nouvelle directrice est une femme qui nous a écoutés, notre rencontre s’est passée dans le calme, cela me donne de l’espoir. Je pense que l’hôpital ne souhaite pas une nouvelle affaire en justice…

Vous avez eu à la suite de la publication de votre livre, Pour la vie de mon fils, un nombre important de rendez-vous à la télévision et à la radio, à des heures de grande écoute. Vous avez eu le courage de les affronter tous, alors que vous avez fait face à des journalistes parfois très durs, très hostiles. Et vous continuez. Pourquoi ?

Parce qu’il fallait se faire entendre ! Coûte que coûte. Ce livre, je l’ai écrit pour cela : il fallait que l’opinion publique comprenne réellement ce qui se passait dans cette chambre d’hôpital à Reims, et il fallait que la vérité soit rétablie. Oui, cela a été éprouvant. Mais tant pis : je l’ai fait pour Vincent. Vincent résiste, nous devons résister nous aussi.

On vous reproche deux choses : la première, c’est d’être catholique, et la seconde, de vous comporter comme si Vincent était votre possession. Comment avez-vous vécu ces attaques répétées, toujours les mêmes, sur les plateaux de télévision ou au micro ?

C’est vrai que cela a été dur à vivre. On cherche à vous discréditer, c’est toujours la même chose qui revient… Ces attaques, je les ai trouvées méchantes. Mais c’est tout. Nous n’avons pas à rougir de notre foi. Et nous n’avons pas besoin de la foi pour vouloir sauver notre enfant. Je le sauverai. Je me conduirai comme une tigresse, s’il le faut, jusqu’au bout.

Mais est-ce la vie à tout prix que vous demandez ? Une « obstination déraisonnable », comme l’a accepté la CEDH ?

Non, il n’y a aucun acharnement thérapeutique. Je ne vois pas qui aurait le droit de décider de détruire la vie de Vincent. Il boit, il mange, et ses organes fonctionnent normalement. Et il n’a, depuis deux ans et demi maintenant, que des soins de « nursing ».

Puisque la Cour européenne ne vous a pas donné raison, cela signifie-t-il que face à une grande souffrance – qu’on peut imaginer avérée chez une personne qui est dans son lit sans jamais pouvoir en bouger – on peut décider de faire mourir le patient.

Mais justement, Vincent ne souffre pas ! Il a des moments d’inconfort dont on se rend compte tout de suite. Et alors c’est aux soignants de tout faire pour rétablir le confort qu’il doit avoir. Les infirmiers ou les aide-soignants sont le plus souvent très efficaces pour répondre aux souffrances ou aux gênes qui peuvent se manifester, et même pour aller au-devant. Cela a été parfois plus difficile avec les médecins. J’ai raconté dans mon livre combien Vincent a été mal lorsqu’il subissait un débit de nourriture trop élevé : il souffrait en effet à ce moment-là et nous le voyions bien même s’il ne parlait pas. Cela a duré plus de cinq mois. Nous avions pourtant les conseils du Dr Jeanblanc, du centre spécialisé qui peut accueillir Vincent, et nous en faisions part à l’équipe de Sébastopol. Le Dr Jeanblanc écrivait aux médecins, mais ils refusaient d’appliquer ses conseils, s’arc-boutant sur leur expérience à eux. Le problème a disparu lorsqu’ils ont enfin consenti à réduire le débit de sa nourriture.Vous écrivez à plusieurs reprises dans votre livre que vous avez le sentiment qu’on utilise Vincent pour faire avancer l’euthanasie et notamment la loi Claeys-Leonetti actuellement en discussion, qui la met en place sans la nommer.

Avez-vous l’impression que la CEDH est en train d’appuyer cette démarche politique ?

Oui. Les juges ont tout de même eu le temps d’étudier le dossier… On se demande comment ils en sont arrivés là. J’en déduis qu’ils sont pour l’euthanasie, et c’est pourquoi ils cautionnent la décision française.

Avez-vous eu l’impression que certains journalistes qui vous ont interrogée ont été touchés ?

Oui, je le pense vraiment. Ils ont fait leur travail, ils ont été plus ou moins agressifs, ils ont été plus ou moins honnêtes, ils pouvaient avoir un plan derrière la tête, leurs questions allaient dans un sens bien précis. Je n’étais pas préparée com­me ils l’étaient. Mais certains, j’en suis sûre, ont été ébranlés : les femmes en particulier.

Quel est maintenant votre plus grand souhait ?

C’est d’abord que Vincent soit transféré. Nous ne voulons plus voir Vincent dans cette situation-là, sans soins, enfermé, avec le plafond pour seul horizon. Nous en souffrons, mais Vincent en souffre bien davantage. Mais surtout, je voudrais que la réconciliation de notre famille se fasse autour de Vincent.

Vous avez vu Vincent depuis votre retour de Strasbourg, comment l’avez-vous trouvé ?

Je suis allé auprès de lui le soir même de la décision. Vincent était très réceptif. Je l’ai trouvé un peu triste, mais très éveillé. Je pense qu’il a besoin d’être rassuré, plus que jamais. Il ne va pas mal, mais je le perçois inquiet. La Cour européenne dit que Vincent n’aurait pas voulu vivre ainsi, mais à supposer que ce soit le cas, peut-on imaginer qu’il aurait voulu mourir de privation de nourriture et d’hydratation ? Je vais vous répondre avec ce que j’ai vécu : si Vincent avait vraiment voulu « partir », il se serait laissé aller lorsqu’on la laissé sans nourriture et très peu d’eau pendant 31 jours. Il se laisserait aller aujourd’hui. C’est très courant : lorsqu’une personne en a assez de la vie, elle se laisse mourir. Ce n’est pas le cas de Vincent, bien au contraire : il a plutôt fait des progrès depuis la fin de l’année 2014. Il parvient à bouger la jambe droite, ce qui n’était pas le cas avant. Il s’accroche. De toute façon, c’est impensable pour moi qu’on puisse lui arrêter la nourriture et l’hydratation, même avec cette décision qui vient d’être donnée. Ce n’est pas possible. Nous nous battrons tant qu’il le faudra.     

Propos recueillis par Jeanne Smits

Viviane Lambert, Pour la vie de mon fils, éd. Plon 13 euros

Connexion ou Créer un compte