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Corse : Valls ne veut voir qu’une tête, mais pas la tête de Maure
Ce pourrait être une histoire corse : Siméoni et Talamoni sont dans un bateau de la ci-devant SNCM ; le bateau coule : qui est-ce qui nage ? Peut-être bien toute la Corse, hélas, si les indépendantistes la pilotent sur les écueils.
Les deux listes « nationalistes », ayant fusionné au deuxième tour des élections territoriales de décembre 2015, l’ont emporté, à la faveur des divisions des partis politiciens, avec plus de 35 % des suffrages exprimés. Au premier tour, la liste de Gilles Siméoni, Femu a Corsica, avait recueilli 17,62 % des voix, et celle de Jean-Guy Talamoni, Corsica libera, seulement 7,73 %. Il existe une grosse différence entre elles : la première milite pour une Corse autonome au sein de la république française ; la deuxième, pour l’indépendance de l’île. Lors des élections territoriales de mars 2010, les autonomistes avaient refusé de s’unir au deuxième tour avec les indépendantistes. En 2015, le choix inverse permet à Siméoni – par ailleurs maire de Bastia –, de présider le conseil exécutif de Corse. Dans son discours d’installation, le 17 décembre dernier, il a parlé d’une « logique d’émancipation », qui, selon lui, passe « nécessairement par une relation repensée et reformulée à l’État. Un État qui ne peut plus être le seul à vouloir échapper à l’évidence : le peuple corse existe et il sera reconnu, parce que cela est conforme à l’Histoire et au Droit. La Corse, territoire insulaire, bénéficiera d’un statut lui conférant pouvoir législatif, parce que cela s’imposera de façon naturelle comme une évolution politique et institutionnelle inéluctable, y compris au plan européen ». Le moment est donc venu, conclut-il, d’ouvrir avec l’État « un dialogue serein et constructif ».L’absence de ce vrai dialogue avec les autonomistes les a conduits à s’allier avec les indépendantistes, pourtant très minoritaires en Corse (10 353 voix au premier tour sur près de 230 000 inscrits), où la population se souvient de leurs compromissions avec des organisations criminelles comme la Brise de mer et des incessants règlements de compte entre factions rivales qui ont ensanglanté l’île pendant des années. Et cette fusion a porté l’avocat indépendantiste Talamoni à la présidence de l’Assemblée corse. Le 17 décembre, son discours d’installation, prononcé uniquement en corse (mais pas dans le seul souci de promouvoir cette langue…), avait un autre ton que celui de Siméoni. Le nouveau président de l’Assemblée corse avait placé auprès de lui le drapeau corse et le drapeau européen – mais pas celui de la France. Il s’exprimait, disait-il, « au nom des miens, au nom de cette partie du mouvement national qui n’a jamais accepté de reconnaître le principe de la tutelle française sur la Corse. (…) Au nom de ceux qui n’ont jamais renoncé à l’idée d’indépendance. Et aujourd’hui, nous sommes arrivés ici, et nous sommes arrivés victorieux (…). Nous sommes arrivés ici avec tous ceux qui, comme nous, ont toujours combattu les autorités françaises sur la terre de Corse ».Manuel Valls, homme de dialogue ?La sagesse politique voudrait donc que l’on engage aujourd’hui ce dialogue avec les autonomistes pour les détacher des indépendantistes. En dépit de quoi, Manuel Valls a répondu avec la mesure qu’on lui connaît : « Certains parlent d'une nation corse. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Il n’y a qu’une seule nation, la nation française. Il est hors de question de revenir là-dessus ». Belle déclaration de la part d’un premier ministre originaire de la Catalogne espagnole où l’indépendantisme connaît une toute autre fortune qu’en Corse. Valls admet pourtant que « La République reconnaît à l’île un statut particulier du fait de son insularité, de son histoire, de sa culture, de sa langue ». Ce qui signifie qu’il existe bel et bien un peuple corse. Insularité mise à part, toutes les provinces historiques qui font la France – je ne parle pas des nouvelles régions bidouillées par les socialistes – possèdent d’ailleurs aussi une histoire, une culture et souvent une langue qui leur sont propres. Les rois de France, vrais architectes de la patrie française, le savaient bien, qui parlaient de leurs peuples, au pluriel, avant que le jacobinisme et l’étatisme ne prétendent tout uniformiser.Mais la République « une et indivisible » est-elle capable d’un tel dialogue ? La France, qui, depuis qu’elle s’est décapitée en tuant le roi, ne peut compter pour se structurer dans la durée que sur la fonction publique inamovible de l’État centralisé, peut-elle accepter de laisser une autonomie à ses provinces sans mettre en péril son unité? La France et la Corse se trouvent ainsi prises au piège d’un Etat jacobin trop fragile pour décentraliser et trop rigide pour respecter les identités particulières. Entre Valls-Charybde et Scylla-Talamoni. « L’attachement de la Corse à la République n’est et ne sera jamais négociable », affirme le premier ministre avec un beau coup de menton. On connaît la chanson : « L’Algérie, c’est la France », disait Mendès-France… Aujourd’hui, la grande majorité des Corses veulent rester français ; ce qui n’interdit pas d’entendre leurs aspirations légitimes.
Eric Letty