« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

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Secrétariat Monde & Vie

« Un évident besoin de l’histoire »

Jean Sévillia, entré au Figaro Magazine en 1981, y est rédacteur en chef, chargé de la culture. Il s’est rendu incontournable avec une œuvre qui s’en prend à toutes les légendes noires et à toutes les légendes dorées de l’histoire. Il nous rend notre passé avec sa fierté, en récusant les lectures idéologiques et en nous préservant de l’obsession des repentances en tout genre.

Jean Sévillia, voilà qu’on publie un gros livre avec trois des derniers succès de votre production. C’est le signe d’un grand succès ?

C’est une idée de mon éditeur. Mon ouvrage sur le terrorisme intellectuel n’était plus disponible qu’en collection de poche… Il m’a proposé de rééditer trois livres (qui sont proposés pour le prix d’un) : Historiquement correct, Moralement correct et Le terrorisme intellectuel. Et cela donne ce fort volume des Écrits historiques de combat, avec un nouvel index général et des bibliographies actualisés. Il me dit : ce sera un peu votre Pléiade.

J’ai été surpris que vous mettiez Moralement correct avec Historiquement correct, un livre d’histoire avec un ouvrage plus philosophique ou anthropologique ?

Il y a une même logique dans Moralement et dans Historiquement correct, la même conception de ce qui est « correct » justement. La mécanique politique nous fait changer de paradigme et on est tenu de penser que ce changement est naturel et qu’on ne peut plus penser autrement, que c’est interdit et donc impossible. C’est cela le terrorisme intellectuel. Par exemple, si l’on prend la question de l’esclavage : on est tenu de penser que seuls les Européens sont coupables dans cette affaire et si l’on pense autrement on est suspect de racisme et d’indignité citoyenne. Et pourtant personne ne le dit, mais tout le monde sait que la Traite négrière met en jeu trois protagonistes : les pourvoyeurs qui sont souvent les Africains eux-mêmes, certaines tribus en capturant d’autres pour les vendre ; les clients d’autre part, c’est-à-dire les Occidentaux pour le commerce maritime du « bois d’ébène » et les musulmans pour la traite terrestre des esclaves. Dans un autre registre, celui du moralement correct, c’est un peu la même chose : on change le paradigme du mariage, on déclare : le mariage est pour tous, et on est tenu d’adhérer à ce changement.

Mais ne croyez-vous pas que vos idées gagnent du terrain ?

En histoire, ce ne sont pas mes idées, mais des chercheurs, qui cherchent vraiment et qui trouvent, par opposition à ceux qui se contentent de reprendre des prémisses idéologiques. Il y a d’une part la recherche de l’histoire savante et puis il y a les professeurs du secondaire qui se fondent sur les manuels. Aujourd’hui, cette immense machine de l’Éducation nationale n’est pas, loin s’en faut, dans une posture critique de ses propres dogmes. Le savoir des savants vient renverser bien des tabous. Mais, dans la pratique, rien n’est changé. Tenez, le livre qu’Emmanuel de Waresquiel vient de faire paraître sur Marie Antoinette est une magnifique réhabilitation de cette reine soi-disant légère. Avant que le professeur de CES à Montluçon enseigne Waresquiel à ses élèves il se passera trente ans !    

Comment concevez-vous votre mission dans tout cela ?

Je suis avant tout un passeur justement. Je suis un historien, pour tout ce qui concerne l’Autriche-Hongrie au xxe siècle, domaine dans lequel j’ai écrit effectivement des livres d’histoire. Pour le reste, je me contente de mâcher le travail de mes lecteurs. Ce que j’écris, ce ne sont pas les idées de Jean Sévillia encore une fois. Je m’appuie sur les travaux des spécialistes et j’en fais une synthèse. Je rends service au lecteur qui n’a pas le temps de tout lire et je restitue sa continuité à l’histoire, loin des déformations idéologiques.

Comment expliquez-vous que ces déformations historiques aient la vie dure ?

Pourquoi une telle résistance face à la vérité historique ? Il est vrai tout de même que les marxistes ont disparu, à part tel intellectuel comme Alain Badiou, qui doit être à peu près seul de son espèce. Mais le Parti communiste a quitté le gouvernement en 1983 et l’idéologie qui a remplacé le marxisme dès ces années-là, c’est le multiculturalisme, l’antiracisme l’apologie de la diversité et le déni de l’identité. Je trouve que, dans ce registre, les choses n’ont pas beaucoup changé depuis les années 80. La correctness est toujours du même côté. Le terrorisme intellectuel est un système de mensonge. Il ne suffit pas de crier : « le roi est nu » pour que tout le monde le reconnaisse. On continue à s’obliger de penser que le roi est habillé, comme dans le conte d’Andersen. Le système tient malgré le mensonge.

Pourquoi ?

J’évoquais l’Education nationale tout à l’heure. En réalité il y a deux filtres de la pensée avant qu’elle ne se diffuse dans la société et qu’elle ne devienne la pensée commune : l’Éducation nationale effectivement, au sein de laquelle on vote à gauche à 70 % et les médias d’autre part, où le pourcentage doit voisiner les 80 % d’après certaines enquêtes. Et puis, ajoutons-le pour mémoire, résister à l’idéologie dominante devient dangereux. Eric Zemmour a vendu 500 000 exemplaires du Suicide français. Grand succès ! Mais il est suivi en permanence par deux gardiens, pour sa sécurité. Comme Michel Houellebecq depuis qu’il a écrit Soumission. D’une certaine façon, le brouillard est plus opaque qu’il y a trente ans, sur les mêmes sujets, parce que la situation a évolué…

Comment sortir de ce système du mensonge qu’est la correctness ?

Remarquez tout d’abord que même lorsque sur certains points le système doit abandonner ses mensonges, par exemple justement à propos du marxisme : des gens de gauche ont été complices du PC jusqu’au début des années 80. Ils n’ont jamais voulu reconnaître cette complicité ou faire le bilan de ce compagnonnage douteux. Il est possible que le mur du mensonge finisse par s’effondrer. Mais je pense qu’il faudrait une crise générale pour qu’il s’abatte vraiment. Pour l’instant le système tient debout et refuse de faire repentance !

Face à cette évolution, qui est aussi une aggravation dites-vous, comment concevez-vous le rôle de l’histoire ?

L’histoire est une continuité, qui aboutit dans chaque individu. Nous sommes les fils de notre histoire. Si l’on se coupe de tels et tels siècles de notre passé, on se coupe de nous-mêmes. Le passé est un besoin de l’âme humaine. C’est un peu sur ce sujet du rôle de l’histoire et de l’historien que j’ai écrit la nouvelle préface de ces Écrits historiques de combat. J’ai envie de vous répondre avec deux citations que j’aime beaucoup, l’une de la philosophe Simone Weil, l’autre de l’écrivain Albert Camus. Simone Weil écrit dans le livre qu’elle a consacré à L’enracinement : « L’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui, pour le construire, devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner, il faut posséder et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréés par nous. De tous les besoins de l’âme humaine, il n’y en a pas de plus vital que le passé ». Aujourd’hui, les gens sentent obscurément qu’on veut les priver de leur passé, de leur richesse et je crois que c’est cela entre autres qui explique le succès de mes livres, qui contribuent à redonner accès à l’histoire. Mais regardez aussi dans les kiosques : autrefois il y avait Historia pour le public et un peu plus tard la revue L’Histoire, pour les profs. Aujourd’hui, dans chaque kiosque il y a au moins quinze titres différents. L’histoire est un besoin évident !

Simone Weil donne à votre recherche une dimension presque métaphysique ?

Il est vrai qu’au fond ce que cherchent mes lecteurs, ce qu’ils veulent savoir et faire savoir autour d’eux, c’est d’où nous venons, qui nous sommes et où nous devons aller. Ce sont ces trois questions qui font un monde humain. Comme le dit Albert Camus : « Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est plus grande encore : elle consiste à empêcher que le monde se défasse ». En répondant, du point de vue de l’historien à ces trois questions, on rétablit la continuité vitale entre le passé et le présent et l’on tâche ainsi d’empêcher le monde de se défaire.

Avez-vous écrit quelque chose comme un Ce que je crois ?

Non, je n’ai pas écrit l’essai qui pourrait être mon Ce que je crois. Il faut donc aller chercher mon Credo du côté du livre que j’ai consacré à La France catholique [à paraître l’an prochain en livre de poche]. Mais quand on lit ce que j’écris, je pense que l’on est amené à conclure qu’il y a un lien profond entre le christianisme et l’être français. Ce lien que l’historien découvre, les citoyens devront se le réapproprier d’une façon ou d’une autre. Il est clair en tout cas que la laïcité n’est ni une foi ni une puissance sociale. Cela dit, bien évidemment on peut aimer la France sans être catholique, tout en sachant que philosophiquement l’être de la France est lié au christianisme. C’est d’ailleurs l’une des raisons mises en avant par les djihadistes pour nous attaquer.

Vous pensez que l’on peut être chrétien simplement en se considérant comme d’identité chrétienne ?

Je me méfie du catholicisme métaconfessionnel ou purement identitaire. Il y a une identité de la France liée au christianisme, c’est certain. Mais la foi chrétienne est d’abord une rencontre avec Jésus. Les deux réalités ne se placent pas sur le même plan. Il faut se méfier de la confusion autour du thème de l’identité. Être chrétien, ce n’est pas seulement une identité, c’est avoir reçu la grâce du baptême, c’est-à-dire la possibilité du salut. 

Propos recueillis par l’abbé G. de Tanoüarnê Jean Sévillia, Écrits historiques de combat, éd. Perrin 840 pp. 25 euros.

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