Hubert Champrun
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Lumières de la foi au siècle des Lumières
Au xviiie siècle, à Paris, les vitraux gothiques étaient remplacés par du verre blanc, on restaurait les vieux édifices (ou on les abattait) et on décorait les églises avec de grands tableaux lumineux : c’était le temps des vraies lumières. En 1764 Louis XV posait la première pierre de la nouvelle Madeleine et celle de la nouvelle église Sainte-Geneviève. De la première il ne nous reste qu’une maquette (le chantier fut arrêté), la seconde est devenue le Panthéon ; un petit tableau nous montre la cérémonie de la première pierre devant une façade, sans dôme : c’est une gigantesque toile peinte de plus de 1 200 mètres carrés qu’on avait installée pour que le Roi ait une bonne idée du résultat final.L’époque aimait ces illusions : à Saint-Roch, Boullée imaginait une chapelle du Calvaire avec de vrais rochers et des toiles peintes représentant un ciel d’orage ; aux Enfants-Trouvés, devant Notre-Dame, une chapelle imaginait une gigantesque crèche au toit faussement ruiné laissant voir les cieux (et l’exposition reconstitue ce qui a disparu) ; Coypel, à Saint-Nicolas-du-Louvre, faisait descendre en procession un Christ mort jusqu’à son sarcophage, véritable autel de pierre surmonté du tableau débordant son cadre.Le Petit Palais rend hommage à cette foi joyeuse, intelligente, épiphanique, théâtrale et démonstrative en transformant ses salles en une véritable église : narthex, nef, baptistère, déambulatoire, chapelle, sacristie, tout y est ! Les tableaux ainsi mis en scène ont un relief singulier, on est mis en condition – même si leur restauration et leur disposition rend tous les tableaux exposés éminemment visibles et lisibles ; d’une certaine manière, le musée restitue ce que la Révolution avait détruit, et poursuit l’entreprise commencée au musée Carnavalet, avec l’exposition « Les Couleurs du Ciel » (2012 – Monde & Vie).C’est la même volonté de montrer un monde cohérent et de permettre d’en redécouvrir les vestiges (l’exposition propose un intelligent parcours “hors les murs” dans six églises : courrez à Sainte-Marguerite), en insistant sur la perception qu’avaient alors les fidèles. Un immense Magnificat de Jouvenet en donne une bonne idée : la toile présente une Vierge exultante, sur une place publique, sortant les badauds de leur torpeur et forçant les gens pressés à s’arrêter. C’est une explosion dynamique de couleurs vives dans un espace très maitrisé. On sent l’assurance tranquille, qui parcourt tous les tableaux : Vincent de Paul prêchant, de Jean-François de Troy, avec un parterre d’auditeurs à même le sol et deux ou trois belles têtes d’hommes aux cols dégrafés, venus en voisin, entre deux livraisons, écouter le saint, ou Le Sacrifice de Noé, de Taraval, élevant son holocauste vers le ciel cependant que l’arche se vide de ses animaux et que l’arc-en-ciel entoure une clarté. Bientôt la Révolution et les néo-classiques imposeront une vertu sèche, sévère et pleurnichante.Pour l’heure, rien n’est douloureux mais il n’y a pas non plus de mièvrerie : c’est un siècle aimable où les sentiments sont encore raisonnés : Le Meurtre de saint Thomas Beckett est violent sans être sanglant (et avec de très beaux effets de drapés aux couleurs assourdies et fondues), Coypel peint le miracle de Saint François de Paule traversant le détroit de Messine sur son manteau sans tragique – mais tout est intense, vibrant à proportion que l’émotion est contenue, comme le grand Saint François méditant dans la solitude de Jean-Baptiste-Marie Pierre. Le saint est dans son ermitage, ayant soigneusement posé crucifix, bible et crâne sur un rocher. Il prie, assez indifférent à nous qui le contemplons et au Martyre d’Hippolyte sur sa gauche. Allez vous réconforter devant Sainte Jeanne de Chantal recevant la règle de l’Ordre de la Visitation, de Hallé : elle la reçoit avec une joie qui fait plaisir à voir, agenouillée et l’œil brillant dans un visage assez rond (et sans doute fidèle). Deux ravissantes religieuses, à l’arrière-plan l’accompagnent. On aimerait voir la lumière qu’elles contemplent et qui les anime. Lux perpetua.
Hubert Champrunê Le baroque des Lumières – chefs-d’œuvre des églises parisiennes au xviiie siècle, Petit Palais, jusqu’au 16 juillet 2017.