Eric Letty
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L’Europe à la catalane
L’histoire ne repasse pas les plats, mais il arrive qu’elle les réchauffe. La république de Catalogne, qui fait les gros titres de l’actualité, fut proclamée à quatre reprises dans le passé : en 1641, époque à laquelle les Catalans se placèrent sous la protection du roi Louis XIII (la France y gagna le comté de Roussillon et une partie de la Cerdagne par le traité des Pyrénées signé en 1659), puis en 1873, en 1931 et en 1934. Les velléités sécessionnistes de cette région ne datent donc pas d’aujourd’hui, mais elles ont connu un fort développement au cours de la dernière décennie – d’autant plus remarquable qu’un phénomène semblable est apparu ou s’est renforcé dans d’autres régions de l’Europe, par exemple en Écosse.En outre, ces particularismes s’affirment au moment où la bureaucratie européenne tente de se doter d’un gouvernement fédéral auquel les « États membres » seraient subordonnés, et a mis en place une centralisation de plus en plus pesante. Par une réaction plus ou moins consciente, les peuples de l’Europe de l’Ouest, déstabilisés en outre par l’immigration de masse, cherchent à renouer avec leur identité locale, plus immédiatement perceptible que l’identité nationale, dont l’État moderne est de moins en moins garant en raison de la démission des « élites ».Le Président socialiste du gouvernement, José Luis Zapatero, avait accueilli les revendications autonomistes catalanes. « L’Espagne des autonomies avance, dans la normalité institutionnelle propre aux démocraties », avait-il déclaré – en se gardant de préciser en quoi consistait cette « normalité institutionnelle » démocratique. Ces derniers jours, son successeur, le conservateur Rajoy, a au contraire opté pour la méthode « forte » en tentant d’empêcher la tenue d’un référendum illégal sur l’indépendance, puis en menaçant de supprimer l’autonomie catalane. Je doute cependant que cette politique parvienne plus que la précédente à limiter le développement des aspirations indépendantistes. De son côté, l’Europe, qui a joué pendant des années des oppositions entre les régions et les Etats membres, affecte aujourd’hui de s’inquiéter des risques de « contagion ». Et, comme lorsque l’Angleterre a opté pour le « brexit », la menace d’une punition économique est brandie, répercutée par les médias. C’est oublier que les peuples ne vivent pas seulement de pain.La France, quant à elle, n’a sans doute pas à craindre, pour l’instant, la « contagion ». Constituant un ensemble solide, elle n’a pas la même histoire que l’Espagne et les mouvements séparatistes y restent marginaux ou minoritaires, y compris en Corse, où les autonomistes, en revanche, sont plus écoutés. Les indépendantistes commettent d’ailleurs une erreur en imaginant que leur culture particulière s’épanouirait mieux hors du cadre protecteur de la nation commune : elle se diluerait, au contraire, dans l’espace technocratique européen. Il faut ici en revenir à la définition que Charles Maurras, fervent partisan de la décentralisation, donnait de la nation : « le plus vaste des cercles communautaires qui soient, au temporel, solides et complets ».Pour sa part, la République, jacobine par nature et par réflexe, continue à se méfier de la permanence des « provinces historiques » dans les mémoires collectives, comme en témoigne le découpage aberrant des régions sous François Hollande, ou le refus de Manuel Valls d’admettre l’existence d’un « peuple » corse. Pour la France, le vrai risque serait que l’exemple de la Catalogne soit prétexte à renforcer ce centralisme, qui affaiblit l’identité nationale en étouffant les identités locales. À l’inverse, les rois de France, véritables bâtisseurs du pays, ne craignaient pas de parler de « leurs peuples » – au pluriel.