Hubert Champrun
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Une épiphanie de la droite
Nicolas Dupont-Aignan a lancé mardi 25 octobre une plateforme collaborative, « Les Amoureux de la France ». Le ton en est vainqueur, et même conquérant : « Finies les défaites ! Amoureux de la France et fiers de notre civilisation européenne, nous sommes des millions à partager les mêmes valeurs de liberté, de travail, d’autorité, de justice et d’indépendance nationale. […] Oui, nous ferons gagner la France en dépassant les faux clivages et les appareils partisans car nul ne pourra gagner seul. Prenons les choses en main ! Seule la mobilisation du peuple peut obliger les partis à dépasser leurs divisions artificielles ! Oui nous ferons gagner la France avec audace, rêve et innovation car nous savons que notre pays a tous les atouts pour réussir. »Qui sont ces millions de personnes que le président de Debout la France ! n’a pas réussi à réunir autour de lui, lors des dernières élections présidentielles ? Tous les Français “de droite” qui n’en peuvent plus des prétendus partis de droite, des tactiques partisanes, des logiques d’appareil. À en croire Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi Emmanuelle Ménard (indépendante), Jean-Frédéric Poisson (PCD), Nicolas Dhuicq (futur ex-LR) ou Julien Rochedy (ex FN), ils sont ainsi plusieurs millions à rêver d’une droite qui s’assume et serait alors capable, comme En Marche ! en son temps et La France insoumise, de faire bouger les lignes en donnant une légitimité évidente à ceux qui animeront le mouvement. Un mouvement qui entend rassembler FN et LR alors même que ces deux partis, riches en voix, ont décidé de dédaigner cette union des droites – sans parler de Philippot et de ses patriotes qui, chagrins et chafouins, considèrent qu’ils sont propriétaires du concept “plateforme numérique de droite”.Cela dit, le pari des Amoureux est précisément de ne pas trop s’attacher aux partis officiels, bien plutôt de susciter chez les militants de base un désir, une attente, une espérance que Laurent Wauquiez et Marine Le Pen seraient malavisés de décevoir. Tout le pari est celui du nombre silencieux ou plutôt bâillonné par les appareils et “invisibilisé” par les médias. Comme ces Espagnols descendus en masse contre l’indépendance de la Catalogne, ou ces électeurs de Trump. NDA, Poisson et Ménard rêvent moins d’une droite qui ose que d’une droite qui se révèle. Le principe de la plateforme n’est d’ailleurs pas d’exposer un programme commun mais de le construire, ensemble, à coups de sondages et de propositions, de votes et de réflexions. Foin du top down, comme le défunt Oz ta droite !, place au bottom up !D’une certaine manière, c’est un entrisme moral que pratique Nicolas Dupont-Aignan : influencer du dehors, en révélant de manière objective les souhaits, en discutant à ciel ouvert les thèses, pour peut-être, un jour, imposer les thèmes. La manière dont Sens commun est en train de se faire éliminer des LR permet de mieux apprécier la méthode choisie par ces outsiders de cœur, de raison et de profession : garder une liberté totale de parole pour ne jamais être bridé par les apparatchiks du FN ou des LR. Certes, là où Nicolas dit « Unissons-nous sur le fond ! », Julien déclare qu’il « serait ravi si une catastrophe naturelle pouvait emporter LR et le FN » (Marianne). Un dessin en lignes clairesLa plateforme des Amoureux veut surtout expliquer que l’économisme pourrit le politique (renvoyant aux oubliettes le clivage droite/gauche sans lui substituer le clivage patriotes/mondialistes : on sent les leçons tirées de l’échec de Marine Le Pen) et que les Français veulent qu’on leur donne une direction politique, et pas que la politique ressemble à la gestion de court terme d’une PME en difficulté. « La France a aujourd’hui besoin d’un grand mouvement conservateur qui ait une ligne claire. Ce qui fait défaut en France de nos jours, c’est que les Français ont l’impression que les leaders politiques slaloment, sans véritable colonne vertébrale. » confiait Emmanuelle Ménard à Sud Radio.Tout ça est bel et bon. On est prêt à y croire. Nicolas Dupont-Aignan est une manière de survivant, survolté par son rapprochement avec le FN et surtout sa réélection à Yerres (« Ce que je propose, c’est une révolution politique à droite » – franceinfo) : il est désormais estampillé briseur de tabous et n’a plus peur de rien ; Poisson a mesuré avec Sens Commun les limites des finasseries politiciennes (et Sens commun a pu mesurer ses limites) et n’a plus rien à perdre non plus ; quant à Emmanuelle Ménard, elle est née libre. Mais en fait, tout est suspendu à Wauquiez : soit il réussit sa mainmise sur le parti LR et décide de donner à la France une force conservatrice, en siphonnant tous les déçus d’un FN erratique et déconnecté du terrain – et alors les Amoureux pourront faire figure de point névralgique ; soit Wauquiez persiste à donner des gages au microcosme politico-médiatique (« Votre choix de second tour est sans retour. La droite des valeurs n’est pas compatible avec le FN. » disait-il en juillet sur Europe1), et alors les Amoureux entament une longue traversée du désert : sauront-ils entretenir la flamme ?
Hubert Champrun