« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Eric Letty

Editorialiste

Maurras, pas commémoré mais toujours actuel

Maurras l’a échappé belle ! Le vieux royaliste irréductible, que Bernanos menaçait jadis d’avoir des obsèques au Panthéon, a manqué figurer au recueil officiel des commémorations républicaines. Certes, commémorer n’est pas fêter, comme l’ont rappelé Jean-Noël Jeanneney et Pascal Ory, membres du Haut Comité des commémorations nationales. Tout de même, cela aurait fait mauvais effet dans sa biographie posthume. Grâces soient donc rendues à SOS-Racisme, à la Licra et aux phalanges de censeurs sorties des officines associatives, de nous avoir épargné ça ! Et loués soient-ils aussi d’avoir attiré l’attention des Français sur l’œuvre trop oubliée de ce penseur politique de premier rang, dont les idées sont trop souvent caricaturées et le nom utilisé avec une connotation forcément péjorative pour discréditer tout politicien de droite, ou étiqueté comme tel, coupable d’avoir franchi une mystérieuse ligne Buisson-Maurras qui paraît être le nouveau Rubicon idéologique de la gauche.
Les contempteurs de Maurras lui auront ainsi assuré une nouvelle publicité. Puisse-t-elle inciter une partie, la plus large possible, de nos compatriotes à lire ce pestiféré, à la faveur des rééditions annoncées cette année. Ils y trouveront une pensée très loin d’être réductible à l’antisémitisme « d’État » (Maurras réfutait vigoureusement les théories racialistes). Son apport principal réside, à mon sens, dans la conception d’un ordre politique qu’il regarde comme le mieux à même d’assurer l’existence et la grandeur de la nation française, et qui le conduit à conclure en faveur d’une restauration de la monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée. Un ordre fondé sur les communautés d’appartenance – à commencer par les familles – et les corps intermédiaires ; et couronné par le gouvernement royal, fort, indépendant, arbitre et garant de l’unité nationale, mais dont l’action reste limitée aux fonctions régaliennes, laissant les Français s’organiser librement : « en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà tous les espaces, la Papauté ! », écrivait-il en 1958 à Pierre Boutang.
Cette conception n’a rien perdu de son actualité, comme le montre aujourd’hui la question corse. S’il avait le moindre souci de la patrie – ce dont je doute –, je conseillerais à Emmanuel Macron de lire ces lignes tirées de La monarchie fédérale (1927) : « En travaillant à la reconstruction de la ville ou de la province, on travaille à reconstituer la nation. Le provençal ne fait aucun obstacle à l’épuration et à l’illustration de la langue française, et bien au contraire il y aide. » (Il en va de même du corse.) « Le patriotisme français nourri et rafraîchi à ses vives sources locales est peut-être un peu plus compliqué à concevoir et à régler que le patriotisme unificateur, simpliste, administratif et abstrait de la tradition révolutionnaire et napoléonienne. Mais comme il est plus fort ! Et surtout, comme il est plus sûr ! »
De son côté, Gilles Simeoni pourrait lui aussi méditer cette remarque tirée du même ouvrage : « Il n’y a pas antinomie, mais affinité entre l’unité française et les diversités régionales qui la composent (…) les peuples heureux, les politiques adroits sont d’ailleurs ceux qui savent combiner ces diversités au lieu de les entrechoquer. » Mais la République française, qui vit des divisions partisanes et les entretient, s’est construite sur le jacobinisme en répudiant les libertés provinciales. L’Administration y est seule garante de l’unité, devenue synonyme d’uniformité. Comme le déplorait Maurras, le désordre républicain continue à mettre ainsi l’État partout, et l’inconstance en haut.

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