Eric Letty
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Nous avons un État communiste
C’est reparti comme en 95 ! Les Français s’apprêtent à subir de nouveau les conséquences du bras de fer entre les syndicalistes du secteur public et le gouvernement. Le commun des citoyens n’a pas voix au chapitre.
Ce 22 mars, premier jour d’une grève par intervalles qui s’étendra jusqu’en juin, se pressaient donc sur le quai des gares de banlieue des grandes métropoles françaises, des foules d’usagers (c’est le terme le mieux approprié), agglutinés aux wagons des quelques trains qui circulaient pour avoir une chance de se rendre à leur travail, quitte à passer parfois plus d’une demi-heure serrés comme harengs en caque. C’est le prix à payer, paraît-il, pour la défense du statut des futurs cheminots et aussi (surtout ?) pour préserver le fromage des puissants syndicats de la SNCF. En face, le gouvernement annonce qu’il ne cédera pas. Vrai ou faux ? Nous verrons ça au bout des négociations qui devront s’engager tôt ou tard. Mais la vraie question n’est pas là.
Les cheminots, comme les fonctionnaires qui défilaient aussi ce jour-là, veulent défendre le service public – deux mots qui, dans leur bouche, se confondent avec la notion de bien commun. Ce devrait être l’occasion d’engager un débat, que personne ne se souciera pourtant d’ouvrir, sur le véritable sens de ce sacro-saint « service public » et sur l’importance ahurissante qu’il a pris, sous l’impulsion d’un État dont la prétention à se constituer garant et représentant du bien commun est illustrée par l’expression consacrée d’« État-Providence ».
Par ce titre, il se fait Dieu, divinité à la fois héritière et rivale du christianisme, le monothéisme dégénérant ici en monopole.
L’icône typique de la charité d’État, c’est la Sécurité sociale ; mais l’étatisme providentiel a inventé une flopée d’allocations et d’aides diverses, qui, allouées en vertu d’une logique « redistributive », persuadent les Français qu’il est le Souverain juste et bienfaiteur. Et tant pis si ce bienfaiteur leur fait l’aumône en leur restituant une partie de l’argent dont il les a préalablement dépossédés – et ne leur laisse même pas le mérite de la générosité, qu’il a en quelque sorte nationalisée.
Il suffit de voir qui a fondé ce beau système pour comprendre ce qu’il en est : ainsi, à l’origine de la Sécurité sociale, au lendemain de la Libération, des hauts fonctionnaires socialistes comme Pierre Laroque collaborèrent-ils avec le ministre communiste du Travail Ambroise Croizat. À la même époque, d’autres ministres communistes, mis en selle par le général De Gaulle, contrôlaient la fonction publique (Maurice Thorez), la production industrielle (Marcel Paul), la Santé, puis l’Économie (François Billoux), le ministère de l’Air (Charles Tillon). Les concepteurs du plan de réforme du système éducatif français, Paul Langevin et Henri Wallon, étaient, eux aussi, tous deux encartés au parti communiste. Ce sont ces gens-là, socialistes et communistes, qui ont organisé le service public et dressé les autels de l’État-Providence. On ne peut pas comprendre cette religion si on l’oublie.
Les Français ont été si bien habitués à cette omnipotence de l’État que beaucoup d’entre eux en restent dupes – d’autant qu’on ne leur présente pas d’autre alternative que l’étatisme ou l’individualisme libéral. Il existe pourtant une autre solution, qui s’appuierait sur les communautés et les corps intermédiaires, en laissant à l’État régalien le soin d’arbitrer, de contrôler et, au besoin, de suppléer à un manque en vertu du principe de subsidiarité. Il n’est pas interdit de le rappeler, avant que la France ne s’engage de nouveau, dans la confrontation, sur une voie de garage.