Eric Letty
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La France à la casse
La vraie violence n’est pas celle qui fait le plus de bruit, pas plus que la vraie casse n’est la plus spectaculaire. Les médias du système, critiqués avec raison par les Gilets jaunes, insistent sur les incendies, les pillages et les affrontements pour discréditer le mouvement de révolte populaire. Leur indignation fait sourire.La Ve République serait en danger parce que des voitures ont brûlé dans Paris, que des magasins ont été saccagés et des policiers molestés. C’est regrettable, en effet ; mais voilà des années que des centaines de voitures flambent les soirs de Saint-Sylvestre et que des boutiques sont mises à sac à la fin de toutes sortes de manifestations (en général, par les mêmes individus issus de certains « quartiers » de banlieue, que l’on voit survenir en fin de journée – sans gilets jaunes), sans provoquer le même émoi. Des années aussi que les anciens de 68 cultivent la nostalgie du bon vieux temps où ces enfants gâtés de la bourgeoisie parisienne lançaient pavés et cocktails molotov sur les flics en criant « Vive la Révolution ».Nos commentateurs télévisés ont-ils la mémoire si courte ? Ont-ils oublié aussi que cette République, qu’ils vénèrent aujourd’hui comme l’icône de l’Ordre, est née dans des flots de sang ? Et que la Cinquième du nom fut créée à la faveur d’un coup d’État, après la prise du Gouvernement Général à Alger, qui valait bien le ministère de l’insignifiant Griveaux ?Il semble qu’il y ait les bonnes insurrections et les mauvaises. Les bonnes sont celles qui ont été consacrées par le temps et s’inscrivent dans le sens de l’Histoire telle que la conçoivent les intellectuels et journalistes politiquement corrects. Les mauvaises sont les autres. C’est pourquoi les intellectuels, journalistes et ministres, comme messieurs Castaner, Griveaux (encore) et Darmanin, frappés d’une curieuse forme de daltonisme, veulent à tout prix peindre en brun les gilets jaunes. Et l’on entend avec quelque amusement le vieux Cohn-Bendit, qui a fait sa carrière sur un sourire narquois éclos sous le nez d’un flic, s’indigner que l’on puisse participer àdes manifestations non déclarées ; ou Romain Goupil, ancien militant trotskiste connu pour avoir réalisé un film à la gloire des casseurs de la Ligue communiste révolutionnaire, aujourd’hui reconverti en bourgeois pépère et prospère, s’effarer que l’on puisse désobéir au gouvernement. Voyez-vous ça, mon bon ! Voilà pourtant un demi-siècle que tous ces gens qui feignent de découvrir les beautés de l’ordre se vautrent dans leur désordre. J’y inclus Macron, quoique plus jeune, car il en est l’héritier. Toute sa vie, y compris sentimentale, le montre. L’unique différence avec les précédents, c’est que lui n’a pas eu, comme eux, à se réconcilier avec l’Argent, n’ayant connu que l’époque où la Gauche et la Finance communiaient déjà au même matérialisme.Le vrai désordre n’est pas celui qui est dans la rue, mais celui qui est dans les têtes de nos “élites”. Les casses les plus dangereuses sont celle de la classe moyenne, qui approfondit la fracture entre deux France, et celle du pays lui-même, dont ceux qui ont mission de le protéger, à commencer par le président de la République, s’acharnent à brader la souveraineté.Emmanuel Macron et ses ministres, en soufflant sur les braises de la colère populaire, font le pari que l’anarchie apparente de la rue leur ralliera les gogos convaincus que l’ordre est celui que tente de défendre la police. Mais cet ordre-là est celuide l’escalier du lupanar que décrivait Bernanos. La boule de cuivre est astiquée, les marches bien cirées, mais mieux vaut ne pas voir ce qui se passe dans les étages.