« Nous pensons qu’en France, le sursaut est possible, que les Français vont à nouveau s’aimer eux-mêmes et s’aimer entre eux, pour se redécouvrir tels qu’ils sont : viscéralement catholiques. »

Numéro en cours

Eric Letty

Editorialiste

Macron, la Belette et le Lapin

Fabuleux fabuliste ! On en revient toujours à La Fontaine. À deux mois de la présidentielle de 2022, l’histoire du chat, de la belette et du petit lapin est des plus actuelle : « Du palais d’un jeune Lapin/ Dame Belette un beau matin/ S’empara ; c’est une rusée. » En fait de jeune lapin, Marine Le Pen court la garenne politique depuis déjà pas mal de temps, et Zemmour me fait plutôt penser à un furet qu’à une belette.Retenons pourtant cette distribution des rôles. Profitant de ce que Lapin Le Pen est parti chercher du trèfle électoral à droite et surtout à gauche, Belette Zemmour occupe le terrier : « Le Maître étant absent, ce lui fut chose aisée./ Elle porta chez lui ses pénates un jour/ Qu’il était allé faire à l’Aurore sa cour,/ Parmi le thym et la rosée. »Il faut souligner ici l’imprudence du lapin abandonnant les provisions amassées au trou familial pour aller chercher carotte ailleurs. Tombant de rosée en rusée, il s’avise un peu tard de ce risque :« La Belette avait mis le nez à la fenêtre./ Ô Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître ?/ Dit l’animal chassé du paternel logis :/ O là, Madame la Belette,/Que l’on déloge sans trompette… » Belette Zemmour lui répond par un vieux dicton qui fleure le grand remplacement : qui va à la chasse, perd sa place ! « La Dame au nez pointu répondit que la terre / Était au premier occupant. (…) Et quand ce serait un Royaume/ Je voudrais bien savoir,[dit Belette Z], quelle loi/ En a pour toujours fait l’octroi/ À Jean fils ou neveu de Pierre ou de [Jean-Marie],/Plutôt qu’à Paul, plutôt qu’à moi. »Lapin Le Pen allègue alors « la coutume et l’usage »,qui veulent que la boutique reste dans la famille :comme on l’a vu après de récentes déclarations de Marion Maréchal, c’est aussi l’avis de Jean-Marie... La situation actuelle s’écarte ensuite un peu de la fable, où les deux protagonistes demandent l’arbitrage de Raminagrobis, «un chat faisant la chattemite ».Aujourd’hui, Lapin et Belette n’auraient pas l’idée de demander au matois matou de trancher leur querelle ;mais la conclusion de La Fontaine pourrait bien ressembler à ce qui attend, in fine, nos deux candidats :« Aussitôt qu’à portée il vit les contestants,/Grippeminaud le bon apôtre/ Jetant des deux côtés la griffe en même temps,/ Mit les plaideurs d’accord en croquant l’un et l’autre. »Si l’on additionne les scores attribués aux deux candidats souverainistes par les sondages, ils sont devant Macron au premier tour – ce qui ne signifie pas que si l’un d’entre eux figure au second tour, il soit sûr de gagner. Le vainqueur de leur duel devra convaincre l’électorat du vaincu de voter pour lui, ce qui n’ira pas de soi s’ils se sont trop violemment jeté l’anathème auparavant.Marine Le Pen devrait se rappeler qu’une partie de ce qu’elle considérait comme « son »électorat s’est abstenu aux régionales du printemps 2021. Elle avait alors morigéné les abstentionnistes, mais les électeurs ne sont pas des militants et n’appartiennent à personne. Si Zemmour existe aujourd’hui et fait jeu égal avec elle, c’est à elle seule qu’il le doit. La volonté de la présidente du Rassemblement national de conquérir un électorat supplémentaire dans les milieux populaires déçus par la gauche était intelligente, à condition de conserver sa base de droite, à laquelle, au contraire, elle a tourné le dos. Cette base « orpheline » s’est trouvée en attente d’une personnalité susceptible de répondre à ses attentes. Ç’aurait pu être Marion Maréchal. En ce cas, la nièce et la tante se seraient complétées ; mais Marine Le Pen a exclu la tendance« marioniste ». Sa récente dénonciation des catholiques traditionalistes et des païens censés entourer Zemmour relève d’un règlement de comptes avec les chapelles qu’elle affrontait au sein du Front national dans les années 1990… au siècle dernier ! Sans doute est-elle exaspérée par le départ de certains cadres du RN vers le parti de Zemmour. Ce dernier, quant à lui, aurait tort de s’en réjouir au risque d’aggraver la querelle qui l’oppose à Marine.S’ils donnent à la France et aux Français la priorité sur leurs appétits, le Lapin et la Belette doivent garder à l’esprit la nécessité d’une réconciliation au deuxième tour. À défaut, Macronagrobis ne fera d’eux qu’une bouchée.

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