Eric Letty
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Le pape qui marchait au milieu des loups
C’était le 20 août 2011, avant-dernier jour des Journées mondiales de la jeunesse, à Madrid. Un vent fort soufflait en rafales sur la base aérienne de Cuatro Vientos, où un million de jeunes chrétiens s’étaient rassemblés autour du pape pour une veillée de prière et d’adoration. La pluie tombait, sans doucher leur enthousiasme. « Le Seigneur, avec la pluie, nous envoie beaucoup de bénédictions », plaisantait Benoît XVI. Puis le plancher de l’estrade s’ouvre, un grand ostensoir surgit et, soudain, la tempête s’apaise. Aux acclamations de la foule succède l’émouvant silence de cette jeunesse adorant, avec le Vicaire du Christ, le divin Corps de Jésus.
Autre image forte : au soir de la renonciation du pape, le 11 février 2013, la foudre frappe par trois fois la croix au sommet du dôme de la basilique Saint-Pierre. Ce coup de tonnerre, ressemblant à un signe du Ciel, me rappelle la demande adressée par Benoît XVI aux catholiques au début de son pontificat, le 24 avril 2005 : « Priez pour moi, afin que je ne me dérobe pas, par peur, devant les loups. »
Je ne lie pas cette déclaration à la renonciation du pape. Quand, dans Lumière du monde, livre publié en 2010, Peter Seewald lui demande si le drame des abus sexuels dans l’Église ne lui inspire pas l’idée d’un retrait, Benoît XVI répond : « On peut se retirer dans un moment calme, ou quand simplement on ne peut plus. Mais on ne doit pas s’enfuir au milieu du danger et dire : qu’un autre s’en occupe. (…) Quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer. » Un droit, parfois un devoir, mais pas une fuite.
Pourtant, les loups n’ont pas ménagé le pape défunt au long de son pontificat et la meute journalistique s’est obstinée à lui accoler une image qui ne correspondait en rien à sa vraie personnalité, en présentant cet homme de prière, doux et humble, ce savant épris du Christ, au mieux comme un réactionnaire rétrograde, héritier d’une Inquisition fantasmée, au pire comme le « panzer Kardinal », suspecté d’avoir eu des accointances avec le nazisme, accusation réitérée après “l’affaire Williamson”. Parce qu’il défendait le dogme catholique contre les nuées modernistes, on a fait flèche de tout bois contre lui, déformé ses propos, comme après son discours de Ratisbonne sur la foi et la raison, suscité la trahison jusque dans son entourage, lors de l’affaire des fuites– le “Vatileaks”… Et ces attaques ont, hélas, été relayées au sein de l’Église par des milieux qui reprochaient aussi au pape son conservatisme.
Pourtant, en huit ans à la tête de l’Église catholique, que de travail accompli ! Le premier, Benoît XVI sévit contre les abus sexuels commis par des clercs, nettoyage douloureux et indispensable, commencé lorsqu’il était préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et le principal collaborateur de saint Jean-Paul II. Il pose les bases d’une « écologie humaine », en soulignant que le respect de la Création s’étend aussi à l’homme, qui en est le sommet : « Le livre de la nature est un et indivisible, qu’il s’agisse de la vie, de la sexualité, du mariage, de la famille, des relations sociales, en un mot, du développement humain intégral », écrit-il dans Caritas in veritate. La même préoccupation le conduit à définir des principes éthiques « non négociables », pour aider les catholiques au discernement en politique. Artisan de paix au sein d’une Église plus prompte à pratiquer l’œcuménismes à l’extérieur que le dialogue en son sein, il publie le motu proprio Summorum pontificum et définit une « herméneutique de la continuité », inscrivant Vatican II dans la Tradition catholique, à l’encontre d’une tendance qui voudrait en faire une rupture, voire une re-création de l’Église fondée voilà deux mille ans par Jésus Christ. Et même après sa renonciation, en 2020, le pape “émérite” intervient pour défendre le célibat sacerdotal.
La douceur et l’humilité ont tenu bon dans la tempête, servies par une intelligence remarquable, mise au service de la foi appuyée sur la raison. Lors de ses obsèques, retransmises sur KTO, j’observais le pape François, qui, âgé lui aussi, porte l’immense responsabilité de l’Église universelle. Et je me prenais à penser que, si différent soit-il de Benoît XVI, il se sent peut-être aujourd’hui plus seul de sa disparition.