Gabrielle Cluzel
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Au secours, les fachos du vélo sont de retour
Le soleil revient. Le vélo aussi. Arrogant, dominateur, sûr de son bon droit, « sonnant » impérieusement, comme s’il avait l’inertie d’un tramway et ne pouvait pas s’arrêter ni dévier sa route, le malheureux piéton qui ne l’ayant pas vu arriver a imprudemment posé un pied sur son empire: la piste cyclable.
Il faut bien sûr différencier le vélo des villes et le vélo des champs… un peu grinçant et cabossé, sans phare ni frein, façon Yves Montand sur les chemins avec Paulette, celui-ci est bien sûr inoffensif, et fait d’ailleurs l’objet de persecutions incessantes de son cousin des villes qui l’accuse d’être un danger public.
Car la petite reine « urbaine » est devenue un tyran. Certains n’ont peut-être pas vu venir cette vélorution, et pourtant : Nous vivons tous, en vélocratie. L’automobile, c’est laid, c’est sale, ça pollue, ça sert à transporter les familles, c’est réactionnaire. Le vélo, c’est beau, c’est écologique, c’est individualiste, on adore. C’est le moyen de locomotion préféré de Noël Mamère, et ce n’est pas un hasard si, dans sa déclaration de patrimoine, Christiane Taubira a ostensiblement fait figurer ses trois vélos.
Mais à droite aussi, on ne voudrait pas avoir l’air d’être à la traîne. Sarkozy n’aimait rien tant, du temps de sa splendeur, qu’être pris en photo sur sa bécane, et Christine Lagarde, à l’inquiétude des français face à la flambée du prix de l’essence, avait eu cette réponse légèrement excédée : Qu’ils roulent donc en bicyclette ! Oubliant bien sûr, que le vélo, comme la brioche de Marie-Antoinette, n’est pas à la portée de tout le monde. Pas à celle des familles par exemple. Alors évidemment on nous cite l’Allemagne et la Hollande. Des pays sans enfants, ou plats comme une planche à pain. Car la carriole accrochée à l’arrière atteint très vite ses limites : Avec trois marmots, la grand-mère dotée d’une prothèse de hanche, l’oncle qui vient d’achever sa chimio, et l’ado qui a le bras dans le plâtre, négocier les côtes peut devenir très vite compliqué, même pour qui serait né d’une idylle entre Bernard Hinault et Jeannie Longo.
La vérité est que la vélolâtrie et son corollaire, l’interdiction des voitures dans la plupart des hyper-centres des grandes villes, a créé un apartheid de fait, auquel les parkings souterrains,– rares, glauques et éloignés –, n’ont pas apporté de réponse. Les jolis quartiers historiques et commerçants sont donc réservés aux riverains, aux actifs sans enfants, aux jeunes des banlieues que déverse le tramway, aux marginaux et à leurs chiens. Les familles, elles, sont condamnées à faire leurs courses en périphérie dans des ZAC toutes semblables, aux enseignes tristement iden-tiques, où sont aménagées de vastes places de stationnements venteuses.
Paris, ses vélibs et ses voies sur berges que l’on a voulu absolument « rendre aux piétons » sont bien sûr emblématiques. Mais la pédale peut finir par jouer des tours, même à ses plus fervents thuriféraires. Puisque le mariage pour tous a permis à certains de fonder bourgeoisement famille, on va les regarder. Finis, le skate le week-end et les deux-roues qui fendent l’air, il va falloir transporter les petiots. Et quand il va s’agir de les traîner sur le porte-bagage pour traverser la Butte-Chaumont ou remonter la rue Lepic ce sont les couples de lesbienne qui vont être drôlement discriminées. Leurs homologues masculins vont leur mettre aussitôt cent mètres dans la vue, quand elles sueront sang et eau dans la côte. C’est peut-être pour ça, aussi, que dans un couple, la nature pragmatique avait prévu une certaine parité ?