Hubert Champrun
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Quelle force réveille cette Guerre ?
Disney nous propose le premier film d’une nouvelle trilogie de La Guerre des Étoiles. Succès absolu ! Au delà de l’esthétique, comment expliquer que le septième épisode de la Saga tutoie déjà tous les succès du Box Office dans l’histoire du cinéma ?
George Lucas a créé une saga, La Guerre des étoiles, pour raconter la vie d’Anakin Skywalker (Marcheur-du-Ciel) : de son enfance à sa rédemption, en passant par sa consécration et sa chute. Son destin hors du commun se confond avec l’histoire politique d’une galaxie entière, balançant entre démocratie et dictature en fonction de ses choix. Une quête héroïque qui mêle allègrement des dizaines d’influences mais surtout s’efforce (au moins dans les trois films de la “deuxième” trilogie sortis entre 1977 et 1983, les épisodes IV à VI) à une certaine épure mythique, à un schéma narratif véritablement universel dans ses articulations. C’est que Lucas a retenu les leçons de Joseph Campbell, spécialiste américain des religions, comparatiste forcené : « Que nous écoutions avec une réserve amusée les incantations obscures de quelque sorcier congolais aux yeux injectés de sang ou que nous lisions, avec le ravissement d’un lettré, de subtiles traductions des sonnets mystiques de Lao-tseu, qu’il nous arrive, à l’occasion, de briser la dure coquille d’un raisonnement de saint Thomas d’Aquin ou que nous saisissions soudain le sens lumineux d’un bizarre conte de fées esquimau – sous des formes multiples, nous découvrirons toujours la même histoire merveilleusement constante. » (Le Héros aux mille et un visages, 1949). Quand on réduit tout au schéma et qu’on mélange les références, on crée une œuvre originale mais surtout un objet conceptuel qui fonctionne à deux niveaux. D’une part, dans ses grandes lignes, La Guerre des étoiles ressemble à n’importe quelle épopée – et autorise donc n’importe quelle lecture culturelle, historique, politique ; d’autre part, les références surabondantes permettent de dégager facilement l’un des univers référentiels et de le constituer en clé de lecture partiale et éclairante : la réduction mène à la simplification, la simplification à l’illumination. Ces exercices de paranoïa-critique reproduisent d’ailleurs le comparatisme de Campbell, si avide d’analogies qu’il n’analyse plus. Il y a donc du chrétien, dans La Guerre des étoiles. Au niveau épique, Anakin et Luc, son fils, sont deux figures christiques : le premier, par orgueil et par amour mal compris, bascule dans le camp du mal avant sa rédemption finale, le second est ce sauveur du monde qui prend conscience de son rôle, le refuse mais finit par l’accepter au nom du bien commun ; et à eux deux, par leurs sacrifices et par amour, ils sauvent la galaxie. Leurs destins s’accomplissent dans une ambiance fortement arthurienne, tous deux revêtant la bure des chevaliers Jedi, un ordre de moines soldats vénérant la Force, éther mystérieux qui relie tout à tout, dans l’espace et dans le temps. Celui qui est capable de la percevoir et de s’y accorder est capable de télékinésie, de prescience, d’extraordinaire agilité et même de triompher de la mort. Ses adeptes prônent le renoncement et l’harmonie. Les emprunts volontaires à la culture chrétienne sont patents et nous valent des discours comme celui du jésuite Marc Rastoin, commentant l’Épisode III (2005), qui raconte la chute d’Anakin : « En définitive, ce film offre une belle réflexion sur la liberté humaine, sur l’espoir de l’humanité d’obtenir la vie pour toujours pour soi et pour ceux que l’on aime, sur les valeurs qui mènent à cette vie et qui s’appellent : patience, courage, don de soi, fidélité et par dessus-tout humilité. » Il faut quand même convenir qu’un christianisme réduit à ces vertus a tout d’une mystique à usage des séminaires de développement personnel… Lucas expliquait d’ailleurs, en 1983, que « la première trilogie est sociale et politique. Elle traite de la manière dont la société évolue. [La deuxième trilogie] concerne plutôt le développement personnel et l’accomplissement de soi. La troisième traite de problèmes moraux et philosophiques. Dans La Guerre des étoiles, il y a une ligne de démarcation claire entre le bien et le mal. Mais vient un jour où il faut se confronter au fait que le bien et le mal ne sont pas nettement tranchés. Le vrai problème est alors de comprendre la différence. » Regardons de plus près les références : Anakin est conçu sans père et considéré par les Jedi (son ordre de moines soldats) comme l’Élu (!) devant rétablir l’harmonie ; chevalier accompli perverti par l’Empereur, il passe par amour du « côté obscur de la Force » (et est renommé alors Darth Vader – le mortel-père-ténébreux), devenant le persécuteur de son ordre religieux, comme un Paul inversé ; Luc est tout droit sorti de la table ronde : jeune paysan qui va découvrir ses véritables origines, devenir chevalier, conquérir un pouvoir merveilleux et sauver le monde, en rachetant son père, flanqué d’acolytes aux intentions plus ou moins pures. Le christianisme est certes une inspiration mais il y a une nette volonté de le rationaliser (la Force est accessible à condition d’y être génétiquement prédisposé) et de le banaliser, ou plutôt de le dissoudre, jetant ses signes, même les plus sacrés, dans un grand bain syncrétiste : « Je n’ai pas voulu inventer une religion. J’ai voulu essayer d’expliquer de façon différente les religions qui ont existé. J’ai voulu les exprimer toutes. » déclarait Lucas. Vouloir réinterpréter toute la saga avec la seule clé de lecture chrétienne, sous prétexte de bien commun et de culte du sacrifice, qui sont chrétiens autant que païens, c’est refuser d’en voir tous les aspects douteux, déplaisants – et même pernicieux. Pour n’en citer qu’un, l’ordre Jedi (qui forme, entraine et guide Anakin et Luc) est en fait composé de créatures biologiquement supérieures, pratiquant la violence, sûres de leurs bon droit, dont la spiritualité conjugue manipulation mentale, ataraxie animiste et goût prononcé pour la technologie… On s’éloigne un peu de la grâce et des moines franciscains. Les Jedi, à la prescience constamment en défaut, proclament une miséricorde qui les conduit à lever des armées et à tuer et défendent une démocratie livrée aux marchands. Certes, ils le font pour “restaurer l’équilibre de la Force”… Il est ainsi des nations et des chefs chrétiens qui ont jeté leurs peuples et les nations dans des combats douteux, sans que le Christ y soit pour rien.
Hubert Champrun